Les uns incarnent les nouvelles esthétiques imprégnées de drill, de jersey ou d’hyperpop, les autres s’inscrivent dans une tradition sonore héritée des aînés : tous risquent fort de rythmer l’année rap 2024.

ADVM

Son premier album intitulé .moins de bruit que ses démons. et paru fin novembre 2023 est une sacrée claque. Il y prétend avoir 23 ans, mais en a en fait 19 : « En vrai j’ai beaucoup moins mais j’le laisse dans le texte parce que si ça sort d’ici là, je serai d’actu, j’suis bien trop en avance », scande-t-il sur le titre .jeunearogant.. Originaire d’Angers, Advm pratique un rap qui file droit, déjà imprégné d’un esprit de revanche. Un rap de tradition avec des grands pas en avant sonores. Advm est de ces artistes francophones nouvelle génération qui savent dans quelle dynastie musicale ils s’insèrent. Impatient, sans concession, il se méfie de l’industrie qui lui tend actuellement les bras. 2024 pourrait le voir continuer sur sa lancée discographique avec un projet au retentissement plus conséquent, bien aidé par une fan base qui grandit à vue d’œil et qui semble traverser les générations.

ADVM / .le signe astro d'ta mère.

Advm


Commelahaine

Commelahaine veut tout faire. Son EP Arrête d’essayer d’être normal en est la démonstration : versatile au possible, fondu dans le rap, certes, mais qui évite les routes artistiques toutes tracées. Il veut surtout faire les choses comme il l’entend pour conserver une forme d’authenticité. Voilà certainement pourquoi sa musique n’a pas encore fait grand bruit. Mais elle pourrait bien résonner plus fort en 2024. Parce que l’hybridation des genres est aujourd’hui encouragée, parce que son chant, son rap et sa maîtrise rythmique sont acérées, et parce qu’il raconte des choses. Commelahaine ne fait pas dans l’enchaînement de punchlines jusqu’à la nausée comme bien de ses collèges. Il collabore avec des artistes singuliers tels que Rouge Carmin ou A$tro Boy, s’essaie aux tempos plus lents sur Rose Noire, tirant parfois vers la pop dans Ça ira, et fait montre d’une vaste palette qu’il pourrait encore élargir cette année. Encore confidentiel, son nom se fait progressivement une place dans les médias spécialisés, et dans cette liste.

Commelahaine - CHAMPS DE BATAILLE (Feat. VI Ape)

Commelahaine


DANYL

Danyl fait partie de cette génération d’artistes qui mêlent les codes rap au chant inspiré des grands noms de la musique moderne maghrébine. Ce mélange, distillé sous une forme nouvelle depuis quelques mois, a rythmé 2023. En émane une chaleur acoustique et populaire, des clappements de mains faisant office de motifs rythmiques, donnant l’impression qu’il fait partie d’un tout. D’autres noms en gestation sont sur le même créneau, mais Daryl tire son épingle du jeu grâce à un savoir-faire sculpté depuis 2019. Il a bien changé depuis, a trouvé sa voie, et il incarne une tendance musicale que l’année 2024 pourrait bien se prendre en pleine face. Son EP Khedma 2 contient le succès Billie Eilish, romantique et malicieux, exemple flagrant de cette volonté de respecter le raï passé tout en y injectant pêle-mêle l’AutoTune, le rap et son jargon inédit. Le Parisien, qui entonne une ode à son quartier de Pigalle sur le titre du même nom, est en train de se structurer pour viser tout l’Hexagone.

Danyl - Mazel (clip officiel)

Danyl


GAPMAN

Depuis Gradur, le rap nordiste s’est fait une place entre les nuages hexagonaux. Dernier exemple de cette scène vivace, le rappeur Gapman, qui ravive la trap en s’associant avec le beatmaker Binks Beatz (Laylow, Hamza, Dinos, Alpha Wann, 13 Block…). Depuis un an, le rappeur originaire de Lille envoie des balles en rafale. Il y a eu 21, en featuring avec l’excellent 8ruki, et son redoutable sample de la BO de la série The Hanged Man, mais aussi les titres Marathon, CREW ou Another Man. Comme un visiteur temporel de 2018, il reprend les codes du sous-genre jusque dans ses clips, avec soirées lascives filmées en plans rapprochés, grosses cylindrées et pogos de concert. Entre deux références à Migos, Gapman rappelle que la trap, si elle a été récupérée par d’autres esthétiques, demeure la base sonore du rap actuel, et se pratique encore avec radicalité. L’année 2024 pourrait bien être celle de l’album, très vraisemblablement mis en boîte par l’incontournable Binks Beatz, avec qui il forme un véritable duo.

Gapman - 21 ft. 8ruki (Official Video)

GAPMAN


GOOD BANA

Même s’il apparaît cagoulé, il n’existe pas deux rappeurs comme Good Bana. En 2023, deux de ses titres l’ont placé parmi les espoirs du genre, Ma Comète et Millions d’heures. Le premier le voit se frotter aux sonorités 2-step avec dextérité, le second flirte avec la drill suave. Dans tous les cas, le mystérieux artiste prend les codes à contrepied. C’est assez fascinant, surtout lorsqu’il déploie sans réserve cette voix claire et forte, que le public devrait encore plus entendre cette année. Parce qu’il préfère l’anonymat et la discrétion, Good Bana vient de partout et nulle part en même temps. Il peut se fondre dans différents genres sans travestir quelconque aspect de sa personnalité artistique. C’est donc un musicien avec un horizon interminable devant lui qui est en train d’éclore. La sensibilité exacerbée qui habite notamment son single Couleur Cactus se retrouve dans ses clips très travaillés, preuve du soin donné aux différentes strates de sa carrière naissante.

Good Bana - Ma Comète - ( Visualizer )

Good bana


JEUNE MORT

Pur produit de la 75e Session, Jeune Mort est un nom qui revient dans le rap français depuis quelques mois. A la fin de l’année 2022, il a commencé à faire parler de lui en publiant coup sur coup deux EP, MORTUUS et Avant l’aube, un peu passés sous les radars mais bénéficiant au cours de l’année suivante des bienfaits du bouche-à-oreille. Entretenant le mystère, se cachant le visage, il brille par sa noirceur et par sa façon de retranscrire ses états d’âme en mélodies. En 2023, il a sorti un nouvel EP intitulé No Colors, sur lequel il expulse « les idées noires dans la caboche » mais explique qu’il sera « toujours triste, même dans les beaux apparts ». Une mélancolie qui rappelle le regretté Népal, mais que Jeune Mort parvient à transformer en beauté, extirpant l’espoir et le sourire des tréfonds de la dépression. Juste et salutaire.


KAY THE PRODIGY

L’association entre la rappeuse Kay The Prodigy et le beatmaker Mezzo Millo est ce qui est arrivé de mieux au rap français en 2023. La Strasbourgeoise est en train de se placer comme l’une des meneuses de la nouvelle génération avec une habileté déroutante, sa nonchalance superbement grossière bourrée de franglais, rimes détachées, influences de Joke revendiquées, et agressivité faussement contenue. Elle sait aussi, et c’est une force, laisser une grande place aux instrumentaux principalement fournis par Mezzo Millo donc, où les samples énigmatiques résonnent notamment dans deux projets parus à un an d’intervalle : Eastern Wind et Eastern Wind 2, entrecoupés des sept titres assourdissants et jouissifs de Triple Kay Supremacy. Elle attaque la nouvelle année avec une nouveau statut, et les espoirs qui vont avec. Elle pourra aussi compter sur les productions de Meel B, l’une des rares beatmakeuses du secteur, qui lui a fourni les bases du titre Threesome. Si 2023 a été une année impressionnante pour Kay The Prodigy, 2024 s’annonce pleine de promesses.

Kay The Prodigy x Mezzo Millo - Dumb

KAY THE PRODIGY


THEODORA

Si Theodora porte la Seine-Saint-Denis dans son cœur et le scande haut et fort sur le titre Le Paradis, elle a aussi des racines au Congo, en Suisse, en Bretagne ou en Grèce. De ce parcours semé d’embûches et de musique, elle a gardé un goût pour l’éclectisme qui se traduit par du rap qui lorgne les musiques électroniques anglaises ou les sonorités afro-futuristes. 2023 a confirmé son ascension, notamment avec l’EP Lili aux paradis artificiels, entièrement produit par son acolyte, le producteur et manager Jeez Suave, qui n’est autre que son frère. Ils ont commencé la musique ensemble et devraient attaquer 2024 main dans la main, toujours à la croisée des genres. Habile, Theodora propose une esthétique comparable à celles de grands noms de l’hyperpop, faite de portraits gigantesques et nébuleux, de figures mythiques qui se croisent dans des codes pop avec cette voix fluette si générationnelle… Theodora emprunte aux divas un côté mastodonte tout en usant de subtilités vocales, comme sur les titres J’ai retrouvé le sourire ou le surprenant Besoin d’aide, faussement taillé pour TikTok, l’armant sérieusement pour les mois à venir.

Theodora - Besoin D'aide

Maison Neptune


TIF

Son concert à l’Elysée Montmartre le 4 novembre 2023 fut un moment de communion rare, une respiration dans un contexte social et géopolitique tendu. Le rappeur et chanteur algérien a tout d’un grand, il l’a montré sur son album 1.6 paru en mars, puis dans une live session envoûtante publiée sur YouTube quelques semaines plus tard. En version acoustique, accompagné de ses potes musiciens, entouré d’amis qui entonnent les refrains en chœur sur une terrasse saisie par le soleil couchant, Tif rayonnait humblement. Il faisait alors entendre ses chansons contant le déracinement, le retour aux origines, la maman aimante que l’on retrouve, l’essentiel qui subsiste. Ce concert en fin d’année sonnait comme un aboutissement, mais pourrait en fait être le point de départ d’une carrière plus grande encore, et dont 2024 sera certainement une étape déterminante, que ce soit en termes de discographie ou de maturation artistique. Voici un artiste dont on n’a pas fini d’entendre parler, qui saura peut-être s’imposer comme fer de lance d’une génération d’artistes mêlant musiques chaâbi et dérivés du rap.

DEMAIN C'EST B3ID

TIF - Topic


Wallace Cleaver

Personne ou presque ne connaît la commune de Saint-Laurent-Nouan, un peu plus de 4 000 âmes, dans la banlieue orléanaise. Mais de plus en plus de monde se familiarise avec l’un des enfants du pays, un certain Wallace Cleaver. Avec son album Baiser paru quelques jours avant l’été, il a fidélisé une communauté d’auditeurs assez bluffante par sa taille. Adepte d’un rap clair empreint d’émotion, il offre depuis 2019 une série de projets discographiques de plus en plus aboutis. Entouré de confrères tels que Sheldon sur le titre Le Cœur à papa ou Django sur benelli828, il a montré l’étendue de son talent lors de la session Grünt #57 sortie cette année, également accompagné de Kéroué, Selug ou Sto. Wallace Cleaver met la technique au service de l’émotion, comme certains membres de la 75e Session, un rappeur genre à coucher ses doutes sur une page blanche pour les expulser en musique dans une douce virulence. Ça fonctionne terriblement bien, et il n’y a pas de raison que ça s’arrête en 2024.

Wallace Cleaver - dans ma tête

Wallace Cleaver