Quarante-cinq ans après sa mort, Elvis Presley demeure un précurseur inégalé. Mais si ses essentielles séances de 1954-1955 pour le label Sun restent la pierre angulaire du rock’n’roll, l’aura du King semble aujourd’hui s’estomper chez les plus jeunes au profit des Beatles, des Stones et autres Beach Boys. Et pourtant…

La tirade est connue mais résume bien la situation : l’Amérique a eu plus de 40 présidents, mais un seul roi ! Un roi qui mourut il y a maintenant plus quatre décennies. Chaque 16 août est pour tout amateur de rock’n’roll digne de ce nom une date à part. Ce jour de l’été 1977, Elvis Aaron Presley rendait l’âme à 42 ans. Seulement 42 années passées sur terre mais une influence unique sur la musique, sur la culture et sur la nation américaine et qui ne se mesure pas vraiment. Une aura qui dépassera la personnification même de l’idiome rock. Voix, musique, gestuelle provocatrice et look : tout est là pour polir chaque recoin de l’icône Presley, d’abord idole des ados en quête de rébellion à la fin des années 50 et qui deviendra une idole tout simplement mondialement populaire. Le King est le premier à associer rock’n’roll et attitude. A Memphis, dans les studios Sun du grand producteur Sam Phillips naîtra cet alliage inédit de rhythm’n’blues, de country, de hillbilly, de gospel, de blues, de bluegrass et d’énergie sauvage. Des chansons enregistrées entre 1953 et 1955 avec le guitariste Scotty Moore et le contrebassiste Bill Black… Il y a une simplicité, une énergie et une épure viscérale dans cette grosse vingtaine de chansons. Son premier album éponyme, le premier pour RCA, qui paraît en mars 1956, enfonce un peu plus le clou dès les premières secondes du Blue Suede Shoes écrit par Carl Perkins.

Les premières années de la carrière du King sont musicalement passionnantes et fascinantes mais sombreront vite dans l’anecdotique lorsque la star s’engagera dans une carrière hollywoodienne affligeante. Une orientation voulue par le tristement légendaire Colonel Parker, manager redoutable n’ayant en ligne de mire que le tiroir-caisse. Même si John Lennon déclarera que « s'il n'y avait pas eu un Elvis, il n'y aurait pas eu les Beatles », le rock’n’roll n’appartient plus au King dans l’Amérique des années 60 où règnent Beatles, Rolling Stones, Bob Dylan, Who et autres Beach Boys, des noms auxquels la jeunesse s’identifie…

Elvis Presley - Trouble/Guitar Man (Opening) ('68 Comeback Special)

ElvisPresleyVEVO

Pourtant, en décembre 1968, c’est la résurrection ! Lors d’un one-man-show diffusé sur la chaîne NBC, Elvis refait surface, plus classieux que jamais dans un costume moulant en cuir noir, entouré de ses fidèles amis/musiciens de la première heure, D.J. Fontana et Scotty Moore en tête, revisitant ses hymnes des débuts dans des versions parfaites et épurées, chantant divinement bien et osant même un peu d’autodérision. L’année suivante, le King surfe sur le succès de ce retour inespéré (Comeback Special) et décide d'enregistrer de nouvelles chansons dans des sonorités plus contemporaines.

En janvier 1969, ce Roi alors en perte de vitesse rejoint l'American Sound Studios du producteur Chips Moman pour y mettre en boîte sa résurrection avec de purs chefs-d’œuvre de country-soul, véritable nirvana de sa carrière discographique sur lequel sa voix atteint des sommets. Tout l’art d’Elvis est là ! Sa palette vocale est impressionnante et l’instrumentarium comme la production sont à tomber. From Elvis in Memphis est un quinzième album studio plus qu’essentiel qui se conclut par le poignant In the Ghetto. Avec les fondatrices Sun Sessions de ses débuts, ce disque d’Elvis est l’autre indispensable de toute discothèque idéale.

Les sept années de vie qu’il lui restera à vivre, Elvis Presley les passe essentiellement à se produire à Las Vegas, dans des concerts où il enquille des medleys un brin indigestes de ses vieux tubes, devant des parterres de rombières liftées, persuadées de vivre des instants magiques… Solitaire, dépressif, accro aux amphétamines, aux antidépresseurs et quasi obèse (102 kilos), il est retrouvé inanimé dans sa salle de bains ce fameux 16 août 1977 dans sa demeure de Graceland à Memphis. Une fin tragique et presque grotesque pour ce roi dont de nouveaux sujets naissent pourtant chaque jour et continueront à naître pour de nombreuses décennies à venir… Mais ces dernières années, Beatles et Stones touchent davantage les jeunes générations qui citent les Fab Four et les Glimmer Twins comme « vieilles » influences majeures. L’imagerie et les valeurs du rock et de la pop des années 60 et 70 semblent avoir ainsi éclipsé le cri primal poussé par Elvis dans l’Amérique on ne peut plus conservative des années 50, celle qui brûlait ses disques considérés par les plus réactionnaires comme la musique du diable. Un cri intact. Et qu’il est plus que salvateur de réécouter en boucle.