Avec "Theory of Becoming", le compositeur de musiques de films signe son premier album pour ECM New Series, un enregistrement expérimental fascinant...

Après avoir passé une dizaine d’années à écrire pour le cinéma, souvent avec son frère Sacha (Gagarine, Grâce à Dieu…), Evgueni Galperine a ressenti le besoin de revenir aux sources de son parcours, à savoir composer de la « musique pure ». Paradoxalement, c’est une commande de musique de film qui a relancé cette envie puisqu’en 2017, le réalisateur russe Andrey Zviaguintsev le contacte pour la BO de son film Faute d’amour en lui demandant expressément de ne pas lire le scénario ni de voir les images durant la composition. Galperine raconte la suite : « Ça a abouti à des musiques qui ont été reconnues par beaucoup de gens, que ce soit des critiques de cinéma, ou des compositeurs de musique contemporaine comme Steve Reich ou Arvo Part qui m’ont fait passer des messages, ou même Nick Cave. »

Evgueni Galperine: 'This Town Will Burn Before Dawn' (teaser) | ECM Records

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Faute d’amour fut donc le déclic pour lancer le projet Theory of Becoming qui vient de paraître dans la collection New Series du label ECM. Pour le compositeur français d’origine russe et ukrainienne, l’idée était d’utiliser un panel de sonorités acoustiques puis de les transformer grâce à l’ordinateur, selon le principe de la réalité augmentée. Il y a donc eu une première phase où Galperine et ses amis musiciens (Maria Vasyukova à la voix, Sergueï Nakariakov à la trompette, Sébastien Hurtaud au violoncelle) ont enregistré et créé des samples, suivie d’une seconde phase durant laquelle le compositeur s’est enfermé dans son laboratoire informatique.

En transfigurant littéralement les capacités initiales des sonorités acoustiques mises à sa disposition, Evgueni Galperine accouche d’un objet au résultat étonnant, pour ne pas dire inédit : ici le son de la trompette se mue en percussion à la rythmique complexe (After the Storm, The Wheel Has Come Full Circle), ou là des harmoniques de violon jouent des parties qui seraient difficilement réalisables par des musiciens d’orchestre (Kaddish). Malgré l’aspect très expérimental et abstrait de ce travail, Galperine n’a pas renoncé à l’émotion la plus intense. De la première à la dernière note, il nous convie à un voyage dans un monde électroacoustique qui n’avait pas encore été exploré jusque-là, un monde rempli de sublimes fantômes (Lettre d’un disparu), de sombres menaces (This Town Will Burn Before Dawn), mais aussi d’une énigmatique légèreté (Don’Tell, Loplop im Wald). A noter que Galperine a demandé à quatre vidéastes de réaliser des images sur la musique de Theory of Becoming, afin de présenter son projet en live. Une manière pour celui qui s’est fait connaître par la musique de film de boucler la boucle.

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