C'est en 1983 que disparaissait une des personnalités les plus singulières de la musique classique du XXème siècle, la cantatrice américaine, d'origine arménienne, Cathy Berberian. Trente ans déjà et une seconde mort pour cette artiste excentrique qui a pourtant secoué le cocotier de la routine bien-pensante des concerts, trente ans pour l'ensevelir peu à peu sous le linceul de l'oubli. Peu de disques disponibles, même sur votre Qobuz !, et une absence totale d'actualité à son sujet. Elle avait pourtant défrayé la chronique cette vivifiante Cathy Berberian avec ses concerts De Mozart aux Beatles qu'elle présentait dans le monde entier. Contrairement aux divas d'un jour lancées aujourd'hui comme des savonnettes sur le "marché" de la musique, elle avait un véritable et courageux projet, celui de chanter, et de créer, la musique de son temps en miroir avec toutes les époques de l'art vocal. Ce n'est pas tant la singularité de sa voix qui frappa le public de l'époque, mais plutôt le choix de ses programmations et sa faculté d'inclure des répertoires très différents au sein d'un même concert avec une audace et une folie irrésistibles.

Née en 1925 dans le Massachussetts, Cathy Berberian étudie à l'Université de Columbia, ce qui lui permet d'aborder toutes sortes de disciplines artistiques et de s'intéresser aussi à des cultures extra-occidentales. Nantie d'un bagage considérable et varié elle se rend en Italie dans le but de devenir chanteuse d'opéra, tout en donnant ses premiers concerts à Naples et à Rome. C'est à cette époque qu'elle rencontre le compositeur Luciano Berio qu'elle va épouser en 1950 (photo ci-dessous). Au delà de la rencontre amoureuse, elle découvre à travers son mari la musique contemporaine dont elle ignorait tout. Une union très profitable aux deux artistes, car Cathy Berberian va susciter et créer des oeuvres nouvelles, telles que Circles, pour chant, harpe et percussion, Sequenza III ou les fameux Folks Songs de 1964, dans lesquels elle chante 32 chansons en 23 langues.

Ensemble ils ont le même désir de dynamiter la forme et l'académisme de la tradition lyrique. Cathy Berberian va peu à peu intégrer dans sa technique des cris, des paroles susurrées, des onomatopées, des grognements et autres borborygmes. Son apparition sur scène devient de plus en plus excentrique, portant des perruques extravagantes et de très grands faux cils. C'est un véritable phénomène que le public découvre, chantant des pièces d'avant-garde, voire surréalistes, de John Cage, la musique électronique de Bruno Maderna aussi bien que Monteverdi sous la direction de Nikolaus Harnoncourt ou les mélodies les plus subtiles de Claude Debussy. Elle est aussi une des premières artistes à présenter les oeuvres devant ses auditeurs. Mélangeant à la voix, des grimaces, des gestes et tout un arsenal théâtral elle fait du concert une performance à part entière.

A deux ans, la jeune Cathy faisait rire son entourage en grimpant sur la table pour chanter une rengaine comme Ramona, à sept, elle écoute sans relâche les disques de sa mère avec les meilleurs chanteurs de l'époque, sans se soucier ni du répertoire ni des tessitures, elle imite tout et parviendra à chanter sur trois octaves à l'âge adulte.

Sa carrière l'emmènera sur les plus grandes scènes du monde de la Scala de Milan à Carnegie Hall en passant par tous les festivals qui se l'arrachent. Elle donnera aussi de nombreux cours d'interprétation.

Ce qui fascine chez cette artiste hors norme c'est son sens de la liberté, cette faculté de passer de la fantaisie burlesque aux oeuvres sérieuses avec aisance et professionnalisme. Surfant sur la beatlemania de l'époque, elle enregistre douze chansons des Beatles en 1966, dans des arrangements baroquisants "pour faire aimer les Beatles aux parents".

La musique est l?air que je respire et la planète que j?habite. Mon unique moyen de payer ma dette envers la musique est de l?offrir aux autres, avec tout mon amour écrivait cette étrange diva, quelques mois avant sa mort, telle une profession de foi. Cathy Berberian a ouvert toutes grandes les fenêtres pour y faire entrer un nouvel air, de nouveaux airs et une nouvelle ère, celle de l'ouverture au monde avec une fantaisie irrésistible, sous l'égide d'un vrai travail et munie de toute la technique nécessaire. Que cet anniversaire nous permette de l'entendre encore longtemps, de la découvrir et de suivre son exemple.

Classique : François Hudry 09/09/2013 par qobuz.com

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