À l’occasion de la sortie en streaming de sa discographie (incluant, entre autres, ses sept albums studio et quatre albums live), retour sur les grandes chansons d’un auteur-compositeur-interprète qui a marqué les esprits d’une génération entière.

Dans le paysage de la chanson française populaire, Jean-Jacques Goldman est souvent considéré comme l’auteur-compositeur-interprète par excellence. Mais si les termes « auteur » et « compositeur » vont de soi, celui d’« interprète » sonne presque comme une anomalie chez lui, tant l’homme se distingue par sa modestie et sa discrétion. C’est comme s’il avait un peu forcé le destin en se donnant en pâture à un public pourtant globalement acquis à sa cause dans les années 1980 et 1990. Dans sa préface à l’ouvrage Créateurs de l’ombre de Mathias Goudeau aux éditions Autrement (2014), Goldman estime que les paroliers, compositeurs et arrangeurs (ces « charpentiers des mots, des sons, des notes d’une époque ») sont tellement investis dans leur passion obsessionnelle qu’ils sont à la fois « maîtres et esclaves de leurs univers ». Malgré son peu d’attirance pour la lumière, on comprend alors pourquoi Jean-Jacques Goldman s'est finalement plongé dedans, en plus de son activité de songwriter (pour Johnny Hallyday et Céline Dion, notamment). Cette lumière lui a donné la possibilité de contrôler son univers artistique sans en devenir le prisonnier. Sa chanson Envole-moi en 1984 pourrait très bien être décryptée à l’aune de ce choix d’appartenir aussi à la famille des interprètes, malgré ses réticences initiales. « Envole-moi, envole-moi/Remplis ma tête d'autres horizons, d'autres mots » : en ouvrant son esprit vers l’horizon de la scène ou des plateaux télé, il s’est fait violence pour acquérir une certaine sérénité et un point d’équilibre artistique parfait.

Né en 1951 dans le 19e arrondissement de Paris, Jean-Jacques Goldman commence à s’intéresser à la musique – et en particulier à la guitare – au sein des Éclaireurs de France, association laïque du scoutisme français. Puis il prend des cours de piano et de violon, tout en participant à la chorale de l’église de Montrouge, où ses parents ont élu domicile. C’est d’ailleurs avec les Red Mountain Gospellers (littéralement les « chanteurs de Montrouge ») qu’il sort son premier 45 tours, en 1966. Vendu par le père Dufourmantelle à la sortie de la messe, ce disque pressé à 1 000 exemplaires est désormais un collector que les fans s’arrachent. Au lycée, il fonde le groupe de rock The Phalansters, avant d’intégrer la formation Taï Phong en 1975. Il a alors 24 ans. Après avoir connu quelques succès d’estime, le groupe se sépare, et Goldman se lance alors dans une carrière solo. C’est d’abord avec le jeune éditeur Marc Lumbroso qu’il tente de placer ses chansons auprès des maisons de disques, et c’est finalement le label Epic qui lui donne sa chance. Celui qui, au départ, démarchait les professionnels en tant que « simple » auteur-compositeur se retrouve à signer également comme interprète avec cette filiale de CBS Records. « Par obligation », avouera-t-il plus tard.

Goldman sort son premier album solo en 1981. Porté à la fois par l’essor des radios libres et par une grande chaîne généraliste (RTL), le single Il suffira d’un signe devient un tube en quelques mois. Le tout premier hit du chanteur, alors qu’il vient de fêter ses 30 ans. Avec ce titre, Jean-Jacques Goldman pose les jalons d’un canevas qu’il réutilisera plusieurs fois par la suite, et qui consiste en un assemblage efficace d’énergie pop-rock et de paroles reflétant une certaine réalité sociale, voire politique. Ecrite en 1979, Il suffira d’un signe évoque la crise qui s’abat alors sur l’Iran (dirigé d’une poigne de fer par le Chah, qui sera renversé par l'ayatollah Khomeini), et l’espoir de son peuple de voir arriver des jours meilleurs. À noter que lorsqu’il chante ce titre en live (comme dans Live en public 1986), il met un point d’honneur à ne pas toucher aux arrangements d’origine, comme si cette chanson était un porte-bonheur qu’il ne fallait pas trop malmener. Parmi les autres morceaux de cet album intitulé À l’envers, citons les jolies ballades Pas l’indifférence et Quelque chose de bizarre.

Cet opus est rapidement suivi d’un second, en 1982, dans lequel figure une liste impressionnante de tubes, à commencer par la chanson qui donne son nom au disque : Quand la musique est bonne. Avec ce titre, l’énergie est toujours présente, mais cette fois-ci, c’est une mise en abîme à laquelle s’adonne Goldman dans les paroles. Sorte de profession de foi, Quand la musique est bonne propose un manuel des valeurs auxquelles un musicien est censé adhérer, comme la sincérité (« Quand elle ne triche pas ») et l’amour du son (« Quand la musique sonne, sonne, sonne »). Pour Goldman, la musique est également la clé permettant à l’artiste et à celui qui l’écoute de s’évader d’une réalité violente (le blues pour oublier les « champs d'coton » ; « les décibels » pour s’échapper de « l’usine » et de « la mine »). Dans cet album comprenant aussi Comme toi et Au bout de mes rêves, l’auteur-compositeur-interprète peaufine son style vocal (son timbre haut perché est mieux maîtrisé), ainsi que sa manière de composer : les chansons séduisent d’emblée par une grande fluidité harmonique.

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