Chaque mois, la rédaction de Qobuz repère pour vous les disques à ne pas manquer, dans tous les genres.

CBLUES/COUNTRY/FOLK (Stéphane Deschamps)

Le 17 novembre sort le nouvel de la plus grande star mondiale de la country : Dolly Parton. Et il s’appelle Rockstar. Mais est-ce encore de la country ? Plus un blockbuster de pop américaine haut de gamme, avec des invités prestigieux, des reprises faciles et des guitares électriques aiguisées comme des tronçonneuses. Et toujours ce brin de voix qui continue de nous faire fondre… Mais plus autant que celui de Chan Marshall, alias Cat Power, qui signe avec Sings Dylan, Live at the Royal Albert Hall – tout un album de reprises d’un album de Dylan en live – un magnifique retour au folk et à l’histoire qui l’a portée. Pour son cinquième album, le cow-boy Chris Stapleton veut aller plus haut, Higher. Et c’est réussi. Chanteur country oui, mais de plus en plus soul et sudiste, avec des ballades qui mouillent les yeux et des morceaux bluesy capiteux.

Le disque folk le plus insolite du moment, c’est le Look Over the Wall, See the Sky de l’Irlandais John Francis Flynn. Parce qu’il est à la fois le plus traditionnel et le plus novateur. Sur d’antiques chansons du répertoire folk irlandais, l’alchimiste J2F greffe des sons électroniques et des arrangements avant-gardistes pour un résultat des plus oniriques. On finit avec l’album le plus feel good du mois (et pas loin d’être aussi le plus insolite), Magic Music for Family Folk, du chanteur guitariste Luther Dickinson. Connu comme guitar hero chez les North Mississippi Allstars, il signe là un charmant album de reprises de vieux morceaux de blues, mais pour enfants. La preuve que cette musique ne mourra jamais. Même, elle rajeunit.

MUSIQUES ELECTRONIQUES (Smaël Bouaici)

Le mois a démarré avec LXXXVIII, le 9e album d’Actress aka Darren Cunningham, construit comme une partie d’échecs en 13 coups gagnants. Les rois de la drum’n’bass anglaise Chase & Status sont eux de retour avec 2 RUFF et un nouveau lot de bangers pour dancefloors, avec notamment un extended mix de leur tube Baddadan.

Toujours en Angleterre, le producteur signé sur Warp Evian Christ sort Revanchist, son premier album pour le label de Sheffield sur lequel il explore la trance, son premier amour, mais évidemment dans un fondu enchainé avec de l’hyperpop ou de la drum’n’bass. De son côté, sa compatriote PinkPantheress nourrit sa hype avec un nouvel album Heaven Knows sur lequel elle mêle, rap, R&B, pop et drum’n’bass, un cocktail jouissif comme le prouve l’épatant single Boy’s a Liar avec l’autre queen du moment Ice Spice.

Dans un genre plus contemplatif, en Allemagne, Ricardo Villalobos charpente comme lui seul sait le faire Stars Planets Dust Me, le troisième album du duo psyché anglais A Mountain Of One, et ça donne des pièces de 10 à 30 minutes ultra-trippantes. En France, Canblaster, un des anciens membres de Club Cheval, sort une mixtape Genesis composée avec des synthés modulaires – et forcément, ça vole haut !

Chloé Thévenin revient de son côté avec la version étendue de Sequenza, un album qu’elle avait sorti en 2021, en collaboration avec son amie la percussionniste et marimbiste bulgare Vassilena Serafimova. Une expérience électroacoustique saisissante, augmentée de remix du sorcier italien Donato Dozzy et de la productrice française Irène Drésel première femme de l’histoire à avoir reçu le César de la meilleure musique au printemps dernier. A noter enfin le retour de la Bruxelloise Clara!, qui déploie son reggaeton 2.0 sur l’excellent Pulso avec l’aide notamment du producteur parisien Low Jack, qui lui concocte des titres ultra-sensuels comme l’irrésistible Lluvia de Sal.

CLASSIQUE (Pierre Lamy)

Le piano était à l’honneur le vendredi 3 novembre avec les albums de deux éminents pianistes de générations différentes : il y avait tout d’abord chez Deutsche Grammophon le délicat Waves de Bruce Liu avec un programme croisé Rameau, Ravel, Alkan. De l’autre côté, on pouvait se délecter de la superbe monographie Debussy par Steven Osborne chez Hypérion. Toujours chez Hypérion, il ne fallait surtout pas manquer The Morning Star, nouvel opus du choeur de chambre Gesualdo Six qui passent en revue 6 siècles de tradition musicale autour de l’Epiphanie. Le 10, la pianiste Anne Queffélec nous revenait chez Mirare avec un diptyque de concertos de Mozart, l’un de ses compositeurs fétiches. Le même jour paraissait sans doute la sortie la plus importante du mois avec la nouvelle production Arvo Pärt par le chœur de chambre de l’Estonian Philharmonic et l’Orchestre de Chambre de Tallinn, les deux phalanges livrant pour ECM de bouleversantes interprétations des oeuvres tardives du compositeur, dont le fameux Tractus. Le 17, on ne manquera pas Le Carnaval des Animaux de Saint-Saëns dans une nouvelle version donnée par les Siècles et François-Xavier Roth, ni la sortie de la bande originale du biopic Maestro sur Leonard Bernstein par Bradley Cooper, enregistrée chez Deutsche Gammophon avec un casting de choix : le London Symphony Orchestra et Yannick Nézet-Séguin ! Le 24 enfin, le Chœur Philharmonique de Yekaterinbourg nous revient dans un enregistrement des Vêpres de Rachmaninov à couper le souffle, à paraître chez Fuga Libera.

JAZZ (Stéphane Ollivier)

Comme chaque année en cette saison, resurgissent les disques dédiés à la tradition de Noël. La qualité est fort honorable cette année et on n’hésitera pas mettre sous le sapin le très soul jazz et chaleureux Christmas Wish du chanteur à la voix d’or Gregory Porter. De façon générale, l’humeur est au lyrisme mélodique, qu’il prenne la forme de la romance sophistiquée tout en nuance émotionnelle chez la chanteuse Stacey Kent (Summer Me, Winter Me), de la légèreté virtuose chez le pianiste Joey Alexander (Continuance), ou du trilogue méditatif typique de l’esthétique ECM dans Strands, marquant la rencontre entre trois représentants majeurs du jazz scandinave : Palle Mikkelborg, Jakob Bro et Marilyn Mazur.

Dans un tout autre registre, plus âpre et expérimental, une autre figure marquante du jazz nordique contemporain, le trompettiste finlandais Verneri Pohjola, présente avec Monkey Mind les dernières avancées de sa musique en révolution permanente, tandis que le saxophoniste français Sylvain Rifflet ouvre encore de nouveaux horizons en s’aventurant du côté de la musique électronique en compagnie de Philippe Giordani (Dooble). Deux enregistrements inédits, dans des registres très différents, viendront nous remettre en mémoire les génies singuliers de la pianiste Geri Allen d’une part, ici en duo avec le guitariste Kurt Rosenwinkel pour un duo télépathique enregistré à la Philharmonie de Paris en 2012 (A Lovesome Thing) ; et de l’autre du grand pianiste et claviériste Chick Corea, qui dans The Future is Now apparaît à la tête de son Elektric Band dans une suite d’extraits de sa dernière tournée effectuée en 2016 et 2017. Enfin, le grand classique du guitariste Wes Montgomery Full House connaîtra une énième « nouvelle jeunesse » dans une version remastérisée agrémentée de prises inédites (The Complete Full House Recordings)… Quand on vous dit que Noël arrive !

ROCK & ALTERNATIF (Charlotte Saintoin)

Impossible de passer à côté, l’événement du mois, c’est évidemment le « dernier morceau » des Beatles. A la cime des charts dès sa sortie le 2 et éclipsant le reste, Now and Then, assisté par l’IA et ayant permis de détacher la voix de John Lennon de son piano, se retrouve en clôture du « double bleu » remastérisé avec son jumeau rouge, à l’occasion de leur 50 ans. Si l’on n’a pas tout compris du travail artistique de Peter Jackson pour son clip officiel, difficile de ne pas tomber en amour devant la mélodie de Lennon, sur laquelle Paul McCartney, Ringo Starr et George Harrison avaient commencé à travailler une première fois en 1995.

Le 10, notre cœur fond pour Los Angeles signé par le supergroupe formé par Lol Tolhurst, Budgie, batteurs respectifs des Cure et Siouxsie & The Banshees, et du producteur Jacknife Lee (U2, REM, Taylor Swift) à l’alliage rock et électronique ravageur. Entre guitares post-punk, rythmes compulsifs et cordes organiques, ce premier disque distingué d’un Qobuzissime déploie une liste XXL de collaborateurs cinq étoiles pour articuler une grammaire précise : Bobby Gillespie, James Murphy de LCD Soundsystem, The Edge de U2, Isaac Brock de Modest Mouse, la harpiste Mary Lattimore ou encore Mark Bowen d’Idles. De l’or !

Le même jour, il y en a aussi pour les âmes mélancoliques. L’infatigable voyageur Zach Condon alias Beirut pimente ses habituelles odes folk slaves avec de l’orgue dans le brumeux Hadsel, son sixième disque et nom de la bourgade norvégienne où il s’est isolé. Aux antipodes, côté Australie et rock psyché méga déjanté, les agités de la gratte Psychedelic Porn Crumpets en arrivent aussi à leur numéro 6. On terminera novembre plus tôt que prévu, le 17, mais avec la banane. D’abord grâce aux ondes feel good du rock laid back de Kurt Vile. Le chevelu le plus relax de Pennsylvanie a notamment fait appel à Cate Le Bon (encore elle !) pour sa seconde parution chez Verve. Puis avec la pop groovy et sensuelle du Finnois Jaakko Eino Kalevi, dont les synthés soul brillent toujours de mille feux et virent pop 80′s pour chauffer le dancefloor.

METAL/ROCK (Chief Brody)

Figure incontournable du death metal depuis trois décennies, Suffocation revient au premier plan avec Hymns From the Apocrypha, premier album enregistré avec son nouveau chanteur Ricky Myers. Les amateurs de sonorités plus mélodiques se tourneront vers le Cycles of Pain d’Angra, dixième album studio des Brésiliens enfin sorti après cinq longues années de silence discographique. Plus rock, Lonely The Brave continue de développer son univers alternatif hérité des monstres sacrés des années 90, entre post-grunge et chansons pour stades avec son What We Do to Feel aux mélodies accrocheuses en diable.

Puisque les fêtes se préparent en amont, Tarja, ancienne voix de Nightwish, y va de son album de Noël, Dark Christmas, sur lequel elle revisite entre autres le Last Christmas de Wham! et l’inévitable All I Want for Christmas Is You de Mariah Carey. Bien entendu, parce qu’un mois de novembre digne de ce nom n’aurait guère lieu d’être sans ses rééditions propices à se replonger dans le meilleur des sons avant les fêtes, les Suédois de Meshuggah, légende du djent, et Devin Townsend, Canadien fou à l’esprit créatif déjanté, remettent chacun en avant leurs albums cultes en versions remastérisées, Chaosphere pour les premiers et Infinity pour le second, à l’occasion de leurs anniversaires respectifs. Vingt-cinq bougies, c’est quand même quelque chose.

SOUL/FUNK/R&B (Brice Miclet)

C’est Noël aussi dans la soul ! Si l’album de la légende du R&B Brandy, Christmas With Brandy, vaut le détour, l’EP de Samara Joy, A Joyful Holiday, est indispensable. Dans une maîtrise folle, la chanteuse de jazz et de soul de 23 ans reprend des classiques, notamment Twinkle Twinkle Little Me en piano-voix, mais invite également sa famille pour entonner le magnifique O Holy Night, puissant et beau. Depuis l’Australie, la chanteuse Tkay Maidza envoie un superbe album, Sweet Justice, d’une grande ambition, porté par le rap radical et cradingue sur WUACV, mais aussi par des influences pop électroniques sur Out Of Luck, titre qui réunit Amber Mark et Lolo Zouaï. Peuplé de sonorités coinçant cet album entre le R&B contemporain et l’hyperpop, Sweet Justice est une très belle réussite. Enfin, la chanteuse française Ronisia, qui s’installe tranquillement comme l’un des plus gros noms du genre dans sa génération, livre le sensuel era 24 le 17. Constellé d’histoire amoureuses sensibles et parés de rythmiques afro-caribéennes, il brille par des arrangements vocaux originaux et sophistiqués, alternant entre cliché bienvenus et tentatives bien senties.

REGGAE (Smaël Bouaici)

Une jolie sortie pour commencer le mois avec le crew de Iles Vierges Zion Kings qui revisite l’album de Protoje In Search of Lost Time, sorti en 2020. In Search of Zion (An Interpretation by Zion Kings) contient aussi de superbes versions dub méditatives, la spécialité du collectif derrière les albums de Midnite. Le 17, c’est la nouvelle star du roots Samory I qui sort son album Strength, teasé par le tube Wrath, en featuring avec Capleton et le dernier lauréat du Grammy reggae, Kabaka Pyramid.

Côté français, la grosse sortie, c’est Step Up, l’album de Manudigital, avec pléthore d’invités comme Yami Bolo, Skarra Mucci, Blackout JA ou Jolly Joseph des Dub Shepherds. Et comme Noël approche, voici un Christmas EP de Lee Perry, qui a nous a quittés en 2021. Un maxi de quatre titres dont deux versions dub de très bonne facture, au niveau de ses enregistrements des 70′s. Une réédition pour finir, avec la 50th Anniversary Edition de Catch a Fire, le premier album de Bob Marley et ses Wailers pour Chris Blackwall chez Island.

CHANSON FRANÇAISE (Nicolas Magenham)

On aura le plaisir de découvrir un album atypique, celui de Brume Parole, qu’il a consacré à Marcel Proust. Sorte de relecture French Touch de l’œuvre de l’écrivain, Retrouve Proust est composé de fragments de La Recherche du temps perdu, enrobé de sonorités électropop. Le même jour, Eddy de Pretto nous gratifiera de son nouveau bébé, Crash Cœur, deux ans après A tous les bâtards (certifié disque d’or). Toujours aussi percutant, le jeune chanteur dévoile des textes où il déclame son admiration des grands poètes et chante sa découverte de l’amour.

Toujours en cette mi-novembre, Bernard Lavilliers reprendra ses grandes chansons sur Métamorphose. Accompagné par un orchestre symphonique de plus de 50 musiciens, ainsi que par ses compagnons de route habituels pour la partie rythmique, Lavilliers revisite ses grands succès dans un mélange de délicatesse et de sophistication. Un peu comme il l’avait fait en 2006 lors de son hommage à Léo Ferré avec l’Orchestre Pasdeloup. Le mois de novembre est décidément un mois béni pour les légendes françaises septuagénaires, puisque Michel Polnareff publiera l’enregistrement de son concert à l’Accor Arena en juillet 2023 (La Tournée historique). Avec une voix qui n’a rien perdu de sa puissance et de son charme, il reprend tous ses tubes, depuis Lettre à France jusqu’à Tout, tout pour ma chérie, en passant par le thème du film de Gérard Oury, La Folie des grandeurs.

RAP (Brice Miclet)

Trois poids lourds en deux albums. Les rappeurs d’expérience peuplent ce mois de novembre, notamment l’inimitable Rick Ross, qui s’allie au rappeur Meek Mill sur l’album commun Too Good To Be True. Deux voix clairvoyantes, deux flows assassins qui se déversent sans fioriture. On n’en attendait pas moins des deux bonshommes qui rappent tout droit, dans leurs registres respectifs, explorant la trap sur Star Island, les sonorités 808 sur Grandiose ou le G-funk rétro et savoureux sur Above the Law. Autre légende, Busta Rhymes revient avec Blockbusta, onzième album sur lequel, comme ses compères, il ne prend pas de gants et privilégie le déploiement d’un rap brut, comme sur le morceau d’introduction nébuleux. Le chemin pour en arriver où il est, les regrets, la virulence hantent cet album diablement réussi. Changement total d’ambiance : Kevin Abstract, fondateur du groupe Brockhampton, livre Blanket, un album surprenant peuplé par le grunge et le punk californien des années 2000. En dehors des clous, comme d’habitude, le rappeur qui n’en est pas vraiment un rayonne.

Côté français, novembre est incontestablement un mois de kickers. L’un des meilleurs actuellement dans ce domaine vient de Montreuil et se nomme Souffrance. Avec son nouvel album Eau de source, il allie la sensibilité exacerbée à un rap naturellement puissant, temps fort de 2023. Bon timing pour les tops de fin d’année, Okis publie Rêve d’un rouilleur, un album d’esthète et résolument nocturne. Technique sans être démonstratif, le rappeur lyonnais franchit clairement un cap. Moment de grâce avec Tif, chanteur-rappeur algérien qui a eu la riche idée de publier l’album 1.6, mais également une session live acoustique absolument magique dans la foulée. Le succès de cette dernière a poussé l’artiste à la publier en format audio, sobrement intitulé 1.6 (Live Session). Un instant de communion qui fait chaud, très chaud au cœur.