Disparue en août 2000, la cantatrice belge Suzanne Danco reste bien vivante dans le souvenir des mélomanes à la faveur de nombreuses rééditions, dont le superbe coffret de 8 disques publié par Decca Eloquence Australie. Mozartienne accomplie, la soprano belge fit les beaux jours du Festival d’Aix-en-Provence dès ses débuts en 1948, avant d’enregistrer des versions de référence de Shéhérazade de Ravel avec Ansermet, qui la demandait sans cesse pour toute une série de disques essentiels. Ayant eu la chance de la connaître de très près, l’auteur décrira donc l’artiste comme une amie chère.

« Shéhérazade ! » s’était exclamé le grand chef d’orchestre américain Leonard Bernstein avec un large sourire, un soir qu’on lui présentait Suzanne Danco à Florence, à l’issue d’un concert qu’il avait dirigé au Mai musical. Il se souvenait du fameux enregistrement du cycle de Ravel que la cantatrice belge avait enregistré avec Ernest Ansermet. Trois mélodies qu’elle adorait chanter et dont elle laisse trois enregistrements en studio (un avec Charles Munch et deux avec Ansermet). Deux autres traces ont conservé des versions de concert avec Munch et avec Karel Ancerl.

Très douée pour le chant dès sa jeunesse, Suzanne Danco a cependant été contrariée par sa famille bourgeoise qui ne voulait pas d’une fille artiste. Il a fallu l’intervention de la reine Elisabeth de Belgique en personne pour qu’elle puisse travailler et donner libre cours à sa passion pour le chant. Sa découverte de l’Italie, où sa carrière débute en pleine guerre et qu’elle ne connaissait qu’à travers les peintres du Quattrocento, est une véritable révélation qui la décide à s’installer à Fiesole, où elle passera le reste de sa vie.

La carrière de Suzanne Danco fut brillante mais relativement brève, une dizaine d’années tout au plus. Elle chanta à la Scala de Milan, au San Carlo de Naples, au Festival d’Edimbourg, au Grand Théâtre de Genève et sous la direction des plus grands chefs en concert, à l’opéra ou au disque : Ansermet, Böhm, Karajan, Kleiber, Krips, Munch, Monteux, Beecham, Gui, Paray, Kubelik, Martinon, Scherchen, Celibidache, Cluytens, Inghelbrecht, Jochum, le tout jeune Haitink et bien d’autres. Elle fut aussi la reine du Festival d’Aix-en-Provence dès sa création, admirée par la critique comme par les musiciens. Francis Poulenc l’évoque à plusieurs reprises dans ses écrits et lui dédicacera joliment une partition de ses mélodies en 1949, à la suite de son premier Don Giovanni, sous la direction de Hans Rosbaud : « Si Suzanne Danco, sublime Elvire, daigne descendre de Mozart à Poulenc, je n’oserais en croire mes oreilles. » Les critiques pour ce premier grand spectacle du festival récemment fondé furent dithyrambiques : « Suzanne Danco, comédienne sensible et sobre, a toutes mes préférences : sa voix unique a l’égalité d’un hautbois », écrivait Hélène Jourdan-Morhange dans Les Lettres françaises. Dans Le Figaro, Bernard Gavoty notait simplement : « Cherchez une meilleure Elvire. » En scène, elle était une Donna Elvira colérique sous la direction de Hans Rosbaud, mais c’est Donna Anna qu’elle chanta dans l’enregistrement légendaire de Don Giovanni, sous la direction de Josef Krips, enregistré à Vienne par Decca quelques années plus tard, avec Cesare Siepi, Lisa Della Casa et Anton Dermota. C’est avec les mêmes chanteurs de l’Opéra de Vienne qu’elle enregistra aussi Les Noces de Figaro (Cherubino) avec Erich Kleiber grâce auquel sa carrière décolla.

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