Chaque mois, la rédaction de Qobuz repère pour vous les disques à ne pas manquer, dans tous les genres.

BLUES/COUNTRY/FOLK (Stéphane Deschamps)

Classement subjectif des albums folk, blues et country du mois, du plus doux au plus énervé. L’Irlandais Oisin Leech sort son premier album, Cold Sea, qui ne porte qu’à moitié bien son nom. Sa musique évoque assez bien l’élément aquatique et son immensité, mais elle n’est pas froide. Ce crooner zen interprète des chansons folk étales, contemplatives, pacifiques (comme l’océan ?) et arrangées avec autant de goût que de sobriété. D’origine irlandaise elle aussi, l’Américaine Aoife O’Donovan signe avec All My Friends un album de très haut vol, dans le sillage de Joni Mitchell pour le chant, avec des arrangements néo-classiques grand luxe. De la forme et du fond dans ce disque sur le thème du droit de vote pour les femmes aux Etats-Unis. La blueswoman Sue Foley fait aussi œuvre de féminisme et de salut public sur le très roots et très beau One Guitar Woman, album solo consacré aux femmes guitaristes dans l’histoire du folk américain et au-delà. L’occasion de redécouvrir Maybelle Carter, Lydia Mendoza, Memphis Minnie ou Geeshie Wiley. Album coup de cœur !

Place aux hommes avec d’abord Sean Riley, qui, depuis La Nouvelle-Orléans, sort Stone Cold Hands, un savoureux gumbo de musique locale, entre blues zydeco et country cajun. Dans le genre mélange aussi délicieux qu’audacieux, le vétéran Alejandro Escovedo frappe fort avec le mystérieux Echo Dancing, qui mixe les racines blues avec des sons venus du post-punk et de la new wave. Et pour se décrasser les oreilles (ou se les flinguer), on peut compter sur le retour du one-man-band blues-punk Scott H Biram, plus électrique que jamais sur The One and Only.

CHANSON FRANÇAISE (Nicolas Magenham)

Batteur chez Tame Impala, Tahiti 80 et Aquaserge, Julien Barbagallo possède également une casquette solo. Avec Garde-fou, il signe un cinquième album enregistré depuis son exil australien. Mélodies ensoleillées et petites choses de la vie composent cet opus aux allures de rêve éveillé. Ce mois-ci, c’est aussi l’époque de Saisons, le nouvel album (concept) de Pomme. Il s’agit du deuxième volet d’un disque sorti à l’automne-hiver 2023 et dans lequel il sera cette fois-ci question de printemps-été ! On y entendra des ballades dépouillées et des chansons en forme d’hommage à Vivaldi. Le même jour, Halo Maud présentera son deuxième album, Celebrate. En français et en anglais, la chanteuse et multi-instrumentiste nous offre 12 chansons à la fois psychédéliques et méditatives. Enfin, la fin du mois de mars marquera le retour de Clea Vincent, figure incontournable de la French pop des années 2010. Advitam Aeternamour évoque le coming out, l’inceste et le deuil.

CLASSIQUE (Pierre Lamy)

Un mois placé sous le signe de la jeunesse avec le retour en force de deux de nos récents Qobuzissimes : Klaus Mäkelä et Alpesh Chauhan. Le premier, chez Decca, nous revient à la tête de son Orchestre de Paris dont il est directeur musical, pour un somptueux programme croisé autour des ballets de Stravinsky (Petrouchka) et Debussy (Jeux). Quant au second, il poursuit chez Chandos son exploration des ouvertures de Tchaïkovsky dans un second volume tout aussi éclatant que le premier paru en juin 2023. On poursuit avec trois stars mondiales du chant lyrique : le contreténor Andreas Scholl accompagné de l’Accademia Bizantina et ses Invocazioni Mariane (Naïve) – louanges à la Vierge Marie tirées du répertoire napolitain du XVIIIe siècle – ; Michael Spyres, incroyable baryténor à retrouver en interview dans notre magazine pour la parution de In the Shadows, morceaux choisis d’opéras français, allemands et italiens du XIXe ; et enfin Sabine Devieilhe, qui s’associe au pianiste Mathieu Pordoy pour un récital intimiste et sensible autour de lieder de Strauss et Mozart (à paraître le 29). Les oreilles les plus averties pourront se délecter de l’impeccable hommage à Ligeti signé par la crème de la crème du contemporain : L’Ensemble Intercontemporain, dirigé ici par Pierre Bleuse qui signe son premier album avec l’orchestre depuis qu’il en a pris la direction en septembre dernier. Côté instrumental, impossible de passer à côté de l’impressionnante intégrale piano Fauré proposée par le jeune prodige Lucas Debargue : une monographie en quatre volumes enregistrée sur le fameux Opus 102 de Stephen Paulello, un piano à 102 touches. On est aussi séduit par L’Heure bleue, second chapitre du quatuor de saxophones Zahir, qui nous livre de superbes transcriptions d’œuvres impressionnistes dans une nomenclature trop rarement entendue au disque – une pépite absolument sublime disponible le 29.

JAZZ (Stéphane Ollivier)

Un mois de mars très chargé côté “jazz” qui rend compte de l’extraordinaire éclectisme des musiques se reconnaissant aujourd’hui sous cette appellation. On commencera par les gardiens de la flamme qui, du génial saxophoniste Charles Lloyd, 85 ans, au pianiste Monty Alexander, 79, n’ont jamais semblé aussi créatifs et maîtres de leurs discours que dans leurs derniers opus, The Sky Will Still Be There Tomorrow et D Day. Dans leur sillage, revisitant chacun à leur façon la formule canonique du quartet, l’Américain Chris Potter au ténor (Eagle’s Point) et le Français Emile Parisien au soprano (Let Them Cook) démontrent que tradition et modernité ne sont pas antinomiques. Même chose pour les contrebassistes Christian McBride et Edgar Meyer, dont le disque en duo But Who’s Gonna Play the Melody? sonne comme une célébration chaleureuse autant de l’instrument que de leur héritage musical commun.

Plus conceptuel et formellement aventureux, le guitariste Julian Lage signe avec Speak to Me une suite de “chansons sans paroles” d’une grande sophistication derrière leur apparente simplicité. La chanteuse Norah Jones renouvelle dans le lumineux Vision ce cocktail inimitable de jazz, d’americana et de pop qui a fait sa renommée. De son côté, la chanteuse française Cyrille Aimée offre avec À fleur de peau son premier album mettant en valeur, au-delà d’un art vocal consommé, de vrais talents de composition. Autre artiste à passer un cap dans sa jeune carrière, la bandonéoniste Louise Jallu s’éloigne du tango de ses premiers disques pour signer avec Jeu un recueil de ses propres morceaux hantés par les grands maîtres du passé.

Ailleurs, le registre esthétique est large entre le jazz rétro et cinématique du saxophoniste et chanteur franco-coréen Oan Kim (Rebirth of Innocence), le duo télépathique constitué par le batteur Arnaud Dolmen et le pianiste Leo Montana (LéNo), le jazz orchestral plein de fraîcheur du guitariste suisse Louis Matute (Small Variations from the Previous Day), le néo-jazz-fusion synthétique de l’Allemand Janek van Laak (Circle of Madness) et l’échappée pop psychédélique du saxophoniste et crooner Thomas de Pourquery (Let the Monster Fall). On notera aussi l’extraordinaire fresque néo-tropicaliste du pianiste brésilien Amaro Freitas (Y’Y), le nouvel opus résolument futuriste du duo Jahari Massamba Unit composé de Madlib et Karriem Riggins (YHWH Is LOVE) et enfin le concert mythique donné par Alice Coltrane en 1971 au Carnegie Hall et édité pour la première fois dans sa totalité.

ROCK/METAL (Chief Brody)

Le printemps arrive et avec lui du son frais mais pas nécessairement délivré par les pousses les plus vertes. Les grands anciens sont de retour et frappent tous très fort avec en tête Bruce Dickinson et son Mandrake Project sorti presque deux décennies après son dernier album solo. Judas Priest, roi incontesté du heavy metal, dégaine un Invicible Shield d’une puissance rare, aussi contemporain que respectueux de l’héritage du groupe. Ministry continue son inénarrable quête visant à cogner sur tous les puissants de ce monde avec son HOPIUMFORTHEMASSES ancré dans des problématiques très « XXIe siècle ». Les fans de rock vintage, blindé de groove et d’esprit americana vont se réjouir du retour au premier plan du groupe des frères Robinson. The Black Crowes sont en pleine forme et le prouvent avec leur Happiness Bastards qui fait résonner du son inédit après 15 longues années de silence studio. Le silence, justement, c’est ce qui attend Sum 41 après la sortie de ce que le combo a annoncé comme son cadeau d’adieu : un double album nommé Heaven :x: Hell et dont les couleurs se veulent différentes avec un contenu plus rock d’un côté et plus métallique de l’autre. Tout un programme.

MUSIQUES ÉLECTRONIQUES (Smaël Bouaici)

Côté musiques électroniques, il ne fallait surtout pas manquer ce mois-ci l’album tout en avant-garde de l’Américaine Jlin, qui sort Akoma chez Planet Mu, le label de Mike Paradinas, avec des featurings de luxe type Björk, Philip Glass ou Kronos Quartet. Après avoir écumé les scènes du monde entier avec Skrillex et Fred Again, le producteur anglais Four Tet revient à l’ambient sur Three, un disque rêveur sur lequel il déploie de nouveau son art du collage sonore. Repartis en tournée pour célébrer les 20 ans de leur album Moon Safari, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, les deux tête en l’Air, en profitent pour éditer une version spéciale du disque qui a fait leur gloire avec démos et raretés. Et puis bien sûr, il faut écouter le réjouissant premier album de Bolis Pupul, parti retrouver ses racines à Hong Kong sur Letter to Yu produit par la fratrie la plus dansante de Belgique, Soulwax.

ROCK & ALTERNATIF (Charlotte Saintoin)

C’est le mois de tous les possibles. Le 1er, Liam Gallagher s’associait au discret guitariste des Stone Roses John Squire pour un disque de rock’n’roll à la pochette certes immonde, mais d’excellente facture. Au même moment, plus près de nous, Ben, Théo et Max du trio charentais Lysistrata reviennent avec Veil, un disque bien vissé dans le rock alternatif 90′s, option grunge. Et pour les amateurs de voix féminines qui enveloppent comme des couvertures en mohair, l’Américaine Faye Webster dépose son cinquième album, à l’indie pop infiniment douce, chez Secretly Canadian. Le 15, on note assidûment le conte philosophique La Grande Gomme de Gabriel Auguste, ex-Wall Of Death. Ici, pas de grosses guitares psyché à la Black Angels, mais un récit en français où l’on rencontre pléthores de personnages, comme Dominique A, Alain Chamfort ou encore le Québécois Hubert Lenoir.

Repoussé au 22, Glasgow Eyes, forts en synthés et guitares froides, signe le retour en studio après sept ans d’absence des infatigables Ecossais The Jesus And Mary Chain. Le même jour, la compositrice Julia Holter dessine des paysages aquatiques mouvants dans Something in the Room She Moves. Un disque énigmatique et fascinant à ne surtout pas louper, aux circonvolutions jazz, classiques ou avant-gardistes, où l’Américaine se déleste de ses couches sonores pour créer davantage de circulations. Toujours aux Etats-Unis, la songwriteuse folk Adrianne Lenker continue sa route en parallèle de Big Thief avec le très dépouillé Bright Future, enregistré dans un studio analogique avec le coproducteur Philip Weinrobe et un petit groupe de musiciens : Nick Hakim, Mat Davidson et Josefin Runsteen. Enfin, on termine le mois avec Ride. Les shoegazers d’Oxford reviennent en meilleure forme avec Interplay, leur troisième disque depuis leur reformation en 2014.

RAP (Brice Miclet)

L’événement du mois, c’est l’EP de MC Solaar, intitulé Triptyques : Lueurs célestes, un format dans lequel le vétéran du genre ne s’était encore jamais aventuré. Un disque empreint d’influences africaines et d’une noirceur qu’on ne soupçonnait pas. Autre lyriciste de prestige, Sameer Ahmad publie son cinquième album, La vie est bien faite, superbe condensé de double-sens et de bons mots qui culmine sur le titre Néron. Une esthétique bien différente de celle de la rappeuse Leys, dont l’EP éponyme est animé de sa caractéristique envie d’en découdre. Enfin, entre les très bons albums de Bekar, Busta Flex et Luther, l’autre moment fort du mois est le retour d’Hatik avec l’album La Vie de Tyler, qui privilégie toujours l’émotion.

De l’autre côté de l’Atlantique, c’est ScHoolboy Q qui mène l’actualité rap avec son sixième et excellent album Blue Lips paru au début du mois. Le rappeur de Los Angeles rayonne à travers de multiples sous-genres, méditant avec dérision sur les traumatismes de sa vie. Dans un style bien plus frontal, la légende Chief Keef et le producteur phare des années 2010, Mike Will Made It, sortent le disque commun Dirty Nachos, d’une insolence ravageuse, totalement ancré dans les sonorités électroniques martiales qui ont coulé les fondations de deux carrières majeures. Massif, fleuve et à la hauteur des attentes. Coup de cœur enfin pour l’album de Tierra Whack, World Wide Whack, d’une efficacité redoutable et épuré au possible pour laisser toute la place à la vocaliste de Philadelphie.

REGGAE (Smaël Bouaici)

Au rayon reggae, le mois de mars a commencé par un hommage à la star du ska et du rocksteasy jamaïcain Delroy Wilson, mort il y a trente ans et ressuscité par le non moins légendaire guitariste Tony Chin, qui a accompagné tous les grands du reggae ces quarante dernières années. Toujours dans le reggae vintage, Max Romeo (se) nous fait plaisir ce mois-ci en reprenant trois de classiques du reggae comme le fameux Man Next Door d’Horace Andy, accompagné de versions dub. Côté français, le producteur de dub Kanka fait son retour avec son album Speakers Speak, tandis que le chanteur Naâman sort une version extended de son album Temple Road, avec une orgie de 23 titres dont des remix. Le label de réédition londonien Soul Jazz fait aussi dans le XXL avec une version « expanded » de la compilation Studio One Downbeat Special, qui célèbre l’héritage de Coxsone Dodd, fondateur du fameux Studio One. Une compilation de tubes des 60′s avec tous les grands, Skatalites, Wailing Souls, Alton Ellis, Cornel Campbell

SOUL/R&B (Brice Miclet)

En attendant l’album de Beyoncé, c’est une autre diva qui fait retentir le R&B tendance pop, Ariana Grande. Son septième album, eternal sunshine, est étonnamment fourni en orchestrations de cordes et en arrangements savants, avec des pas de côté comme ce single mastodonte, yes, and?, qui perpétue l’influence de la house music sur le genre. Le nouvel EP de 24kGldn, Growing Pains, tire aussi son épingle du jeu avec deux singles, Good Intentions et Clarity, d’un R&B frôlant sans cesse le rap.

Elle a connu très tôt le succès, dès ses 15 ans, et c’est peut-être la raison de sa grande maturité artistique. Kodie Shane sort l’EP Young Hot & Vulnerable, un huit-titres désinvolte et sensuel avec un tube en puissance, Pull the Car Around. Dans un classicisme revendiqué et maîtrisé, le crooner Kenyon Dixon publie The R&B You Love : Soul of The ‘70s, contenant notamment l’énorme succès Lucky et son solo de guitare enflammé. Un hommage suave et malicieux aux monstres sacrés. Un projet à des années-lumière de celui de Gary Clark Jr., JPEG RAW, qui mobilise les influences rock sur le titre Maktub, la pop soul dansante sur JPEG RAW, ou les solos de blues sur Hyperwave.

Bolis Pupul, The Jesus And Mary Chain, Norah Jones, Amaro Freitas & Adrianne Lenker, Illustration by Jess Rotter for Qobuz