Television, Iron Maiden, The Stranglers, Genesis et Tina Turner, voici les noms des cinq entités choisies par Tobias Forge pour le nouvel EP de reprises de son groupe, Ghost. Préparée en même temps que leur dernier album, Impera. Cette nouvelle offrande offre au projet suédois une dimension encore plus impressionnante, avec un son massif et un sens du grand spectacle qui ne cesse d’impressionner. On continue d’en parler avec l’homme derrière le masque de Papa Emeritus IV, Tobias Forge.

C’était une sacrée surprise de découvrir votre reprise de « See No Evil ». Nous sommes d’immenses fans de Television.

J’aime ce groupe depuis plus de vingt ans. Television a été une inspiration assez présente lorsque je jouais dans Subvision (NdR : précédent groupe de Tobias Forge, un croisement entre le punk timide de Television et un Ghost sans grosses guitares). Une des raisons qui a d’ailleurs fait que Subvision ne « grandissait » pas bien est que j’avais trop de Metal en moi. (silence). J’ai une idée assez arrêtée sur le sujet, mais…(il hésite).

Allez-y franco, pas de problème !

Est-ce que vous voyez la propension qu’a le Hard-Rock à avoir pour thème le fait d’avoir une grosse bite et à quel point le rock indépendant est plus à propos d’en avoir une petite ? Le Hard-Rock craint la vulnérabilité, contrairement au rock indé qui va l’exprimer sans se cacher. Le problème c’est que j’adore les deux. J’étais un peu perdu quand il fallait trouver le bon chemin à prendre pour écrire un titre. J’ai le meilleur des deux mondes aujourd’hui. Mais à l’époque de Subvision, au moment où tout pouvait potentiellement prendre forme, j’écoutais énormément de trucs alternatifs et pas mal d’indé. J’étais surtout intéressé par des courants alternatifs qui arrivaient à sonner pop. Je trouve que Television rentre tout à fait dans cette catégorie. Ils ne craignaient pas de faire des chansons pop et surtout, ils savaient jouer de la guitare, genre vraiment. J’aurais tout donné pour que mon groupe sonne comme ça. Je n’ai jamais réussi.

Il faut dire que niveau énergie, Tom Verlaine avait un équilibre très personnel.

Il avait cette espèce d’aura protectrice, et surtout une prestance, il était immense en taille. Mais il mettait cette espèce de distance de sécurité dans sa musique qui laissait entrevoir toute sa vulnérabilité. Pourtant, il avait l’énergie typique des mecs bien burnés du hard-rock (sourire). Cet équilibre-là, c’est prodigieux de l’avoir réalisé. Nick Cave est un peu comme ça aussi. Soit vous avez cette qualité de pouvoir jouer sur les deux tableaux, soit vous ne l’avez pas. Personnellement, je ne pensais pas avoir cette qualité. J’ai passé beaucoup de temps à chercher cette énergie. Je ne savais pas vraiment qui j’étais. J’étais composé à 90% de Metal, et je n’arrivais qu’à avoir cette énergie assez agressive et malveillante très punk. Imaginez un petit roquet qui aboie comparé à un gros chien. (il aboie) J’étais un roquet.

Et maintenant ?

Je me sens plus en sécurité dans Ghost (sourire). J’incarne beaucoup plus ce que je fais. J’ai une liste de choses à faire, et reprendre See No Evil était dessus. J’avais pensé aussi reprendre Foxhole (Ndr : de l’album Adventure) ou Elevation (Ndr : Sur Marquee Moon comme See No Evil), mais avec le recul, après les avoir un peu testées, je suis vite revenu sur l’idée de base. Je pouvais déjà entendre ma version de See No Evil dans ma tête.

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Reimperatour, à Rouen © Ryan Chang

Sur Marquee Moon, See No Evil est le morceau témoin, un genre de notice qui permet de comprendre et suivre l’album correctement. En ça il est encore plus modelable que les autres morceaux que vous avez cités.

Et surtout, c’est un magnifique premier titre pour un disque ! Je voulais reproduire cette qualité sur Phantomime. Je vais rester assez pragmatique, mais je crois que la manière qu’ils avaient de jouer se juxtaposait très bien à tout ce que je rêvais de faire. Même si à l’époque je jouais du Death Metal dans Repugnant, la manière dont la musique de Television sonnait m’inspirait, moi aussi je voulais incarner mon son comme eux. Je voulais sonner « gros », je voulais donner vie au monstre que j’avais en moi. En ça, je trouve un mec comme Springsteen absolument admirable. Vous prenez n’importe quel album, vous avez la sensation qu’il est en train de faire le Stade de France. Ten de Pearl Jam sonne comme ça aussi. C’est fort, c’est massif, c’est d’une lourdeur sans pareille. Je pourrais en parler pendant des heures !

C’est intéressant car le son de Television est aux antipodes de tout ce que vous venez de citer. (rires)

C’est limite si le groupe ne s’excuse pas pour le dérangement avant de commencer à jouer. Mais c’est Television, et c’est admirable. Je me suis simplement dit qu’il y avait de la place pour dynamiter tout ça, rajouter une bonne dose d’adrénaline, sonner comme un Stade de France (sourire). La seule chose qui m’inquiétait, c’était le chant. Autant j’ai attaqué Jesus He Knows Me de Genesis et We Don’t Need Another Hero de Tina Turner sans problème, autant Tom Verlaine c’est autre chose ! Il chouine presque, avec style, mais c’était compliqué.

Vous avez dû galérer aussi avec les lignes de chant de Hugh Cornwell sur Hanging Around des Stranglers.

Il a ce petit côté bêta dans la manière de déclamer oui. Je n’étais pas très à l’aise. Puis cet accent, sans parler de l’énergie très burnée dont on parlait plus tôt (rires). Quel personnage là-aussi, ce chant très débraillé, j’adore. Tom Verlaine est un peu plus timide, mais il a aussi un petit côté David Byrne qui est assez compliqué à capter. J’ai vraiment craint de faire du mal à la chanson. Je peux imiter la manière de chanter de Phil Collins et Tina Turner et sonner hyper bien. Là, c’était autre chose, je ne pouvais pas trop « imiter ». Cela aurait signifié trop articuler, mais, simplifier aurait été aussi contre-productif. Je risquais de perdre la moëlle de la chanson, son intention. C’était donc un sacré exercice.

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Reimperatour, à Rouen © Ryan Chang

Vous avez toujours été fan des Stranglers ?

Mon grand frère était fan des Stranglers, donc il m’a assez rapidement converti et leur musique a donc fait partie de mon éducation musicale. Pendant des années, je n’étais attiré que par leur premier album (NdR : Rattus Norvegicus, 1977, dont est extrait Hanging Around), car c’était le préféré de mon frère. Il aimait aussi beaucoup ce qu’ils avaient fait dans les années 80, même si je préférais quand même les trois premiers. Je crois que c’était important pour moi car c’était ce que mon frère aimait, et ça l’est toujours aujourd’hui, ça fait partie de ce qu’il m’a laissé. Il y a dix ans, je me suis retrouvé à sympathiser avec Mats Bjorkman de Candlemass qui est aujourd’hui un très bon ami et c’est lui qui a tiqué sur le fait que Ghost ressemblait un peu à The Stranglers et que j’étais fan. De là je m’y suis replongé car j’étais passé à côté de ce qu’ils avaient fait dans les années 80 et 90, ainsi que les plus récents albums que Mats me conseillait. En dix ans, je me suis retrouvé à redécouvrir complètement ce groupe qui était si important pour mon frère.

Le son de Phantomime est très massif, et je crois ne pas me tromper en disant que c’est assez nouveau pour Ghost. Avec qui avez-vous travaillé ? Vous étiez seul aux manettes ?

Je veux vraiment être très clair sur le fait que je ne veux discréditer personne. Nous avons commencé à bosser sérieusement sur les démos de cet EP en même temps que les démos d’Impera. Par nous, j’entends Martin Sandmark mon ingénieur du son, et moi. Ces démos étaient déjà très élaborées, c’est important de le savoir. Ensuite, nous avons enregistré Impera avec Klas Ahlund en producteur, comme sur Meliora, mais j’insiste pour dire que j’ai co-produit avec lui car je suis quelqu’un qui a des opinions (rires), comme lui d’ailleurs !

Vous ne vouliez pas forcément travailler avec lui pour cet EP donc

Martin et moi avons donc décidé d’y aller « tranquille ». Partir en studio et enregistrer les démos de Phantomime, tous les deux, et de voir ce qu’il allait se passer, voir si on pouvait améliorer ce qui avait été fait sur Impera. Puis, le label a appelé et a continué d’insister sur le fait qu’ils voulaient un producteur.

J’imagine que ça ne vous a pas plu ?

Le concept du producteur est parfois un peu « négligé », ce n’est pas seulement « le gars qui enregistre l’album », c’est aussi la personne qui a la responsabilité économique du projet. En gros, c’est lui qui décide de comment on va dépenser l’argent alloué par le label, et surtout s’assurer qu’on va livrer ce qu’il faut dans les temps. Donc bon, producteur ça veut tout et rien dire. Historiquement, un bon producteur est quelqu’un qui permet à un groupe sur le point d’exploser de devenir gros, ou de permettre à des groupes qui tombent en décrépitude de continuer à sortir de bons trucs. Le mauvais producteur, c’est le type qui n’en a rien à faire, qui laisse l’album se crasher et prend la thune. J’ai beaucoup trop de volonté pour laisser quelqu’un se mettre en travers de mon chemin, et le laisser faire ce qu’il veut. J’ai beau prouver par A+B que je peux gérer cette partie, on finit toujours par me mettre quelqu’un dans les pattes.

Du coup, qui est l’heureux élu ?

Le label m’a proposé de bosser avec Rich Costey (NdR : Connu pour avoir travaillé avec Muse, Deftones, Rammstein, Bruce Springsteen ou encore Korn), du coup j’ai accepté sans poser de questions (il souffle). Il avait failli mixer notre second album, Infestissumam, en 2013 donc nous nous connaissions un peu. Il m’a très vite dit qu’il avait envie de bosser avec nous mais qu’il était très occupé et qu’il préférait bosser depuis son studio en Californie. Ce qui m’allait très bien !

Ensuite ?

Martin et moi avons rappelé Fredrik Akesson (NdR : guitariste d’Opeth qui joue déjà sur Impera) pour qu’il puisse nous gratifier de son immense talent. Rich, lui, était en visio sur l’ordinateur. Je me souviens qu’il n’arrêtait pas de répéter : « J’ai l’impression de ne pas vous être très utile ! » et je lui répondais : « Ouais, mais t’es là pour vérifier qu’on ne foute pas tout en l’air ! »

Ambiance…

Une fois qu’on avait fini d’enregistrer les instruments, et pour qu’il puisse apporter sa pierre à l’édifice et vraiment travailler ensemble, nous l’avons fait venir à Stockholm. Nous avons travaillé ensemble pendant plusieurs jours, il était là quand je chantais, il m’a pas mal guidé et ça a été une coopération très intéressante. Après l’enregistrement du chant, il a été vraiment excellent sur le mix de l’EP. C’était super de collaborer avec lui. D’ailleurs, je suis tellement content du résultat final, et de la manière dont les choses avançaient avec Rich que j’aimerais qu’on l’applique à un futur album de Ghost. Je voudrais aussi refaire un album avec Klas Ahlund, même si c’est vraiment fatiguant. (rires).

Vous revenez pour une tournée européenne en Mai-Juin 2023, puis les Etats-Unis en Août-Septembre. Vous avez annoncé deux concerts mystérieux à Los Angeles, caméras interdites, pas de première partie. Que pouvez-vous nous dire ?

Ce que vous verrez sur la tournée sera similaire à ce que nous faisions l’an dernier. C’est toujours l’Imperatour. Nous allons changer quelques aspects afin de rendre le tout plus pratique, et nous allons jouer des titres d’Impera que nous n’avons pas encore joué. Je veux vraiment que les gens n’aient pas d’attentes trop élevées. Beaucoup de choses vont être différentes, mais nous n’allons pas nous débarrasser de Papa IV tout de suite (sourire). En ce qui concerne Los Angeles, je ne peux pas vous dire grand-chose. Ce que nous allons faire sur ces deux dates est quelque chose que je veux que les gens racontent avec des mots, et pas avec des photos et des vidéos sur leur téléphone. Ce ne sera pas la fin de la tournée Impera, puisque nous irons en Amérique du Sud, puis en Australie pour clôturer ce chapitre. J’aimerais ajouter une dernière chose. Ce que nous ferons à Los Angeles est quelque chose qui requiert deux jours du point de vue de la mise en scène. On espère huit à dix mille personnes par soir et des extras pour le tournage. Je pense sincèrement que ça va être très intéressant, c’est quelque chose que nous envisageons et préparons depuis très longtemps. Beaucoup de nos fans espéraient un concert filmé, d’avoir un DVD live de Ghost, et c’est un peu ça. Vous verrez, ça va être très cool.

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