Toujours signés chez le mythique label 4AD, les rockeurs de l’Ohio se retrouvent autour d’un neuvième album à la beauté diaphane. Une véritable épiphanie.

C’est une affaire de famille qui roule depuis 2001. Ou plus précisément qui redémarre sur les chapeaux de roues. Autour de leur chanteur Matt Berninger, les frères Devendorf et Dessner retrouvent l’euphorie des grands jours avec First Two Pages of Frankenstein, un long format qui continue d’écrire la grande histoire des National, lancée par une première décennie brillante – faste aussi était celle du rock alternatif – avec des livraisons inspirées tous les deux ans (The National en 2001, Sad Song for Dirty Lovers en 2003, Alligator en 2005 et Boxer en 2007), avant une seconde moins créative, définitivement torpillée par la pandémie.

The National
The National © Josh Goleman

La crise du Covid a été un moment difficile pour le groupe. Après le dernier album du groupe, I Am Easy to Find (2019), suivi de près par son premier album solo Serpentine Prison, Berninger est tombé en dépression et dans un mutisme créatif profond. Impossible d’écrire une ligne pendant un an, plus par lassitude que par incapacité, de son propre aveu. “J’ai longtemps écrit de la musique triste et déprimante, mais […] je ne voulais plus écrire sur ce sujet. […] J’avais l’impression que tout était laid et dégoûtant et que toutes les pensées dans ma tête étaient petites, amères et effrayantes.”

Un blocage qui n’est pas loin de signer la fin du groupe de Cincinnati, dont les membres courent alors par monts et par vaux. Notamment Aaron Dessner, que tout le monde réclame, d’Ed Sheeran à Ben Howard, depuis qu’il a négocié d’une main de maître le virage folk de Taylor Swift, en produisant coup sur coup, en 2020, les deux albums de la chanteuse, Folklore et Evermore.On s’était déjà dit que les choses semblaient fragiles, mais je pense que cette fois-ci, c’était différent. C’était bien réel et je pense que c’était nécessaire. On avait besoin de laisser-aller et d’accepter que cela puisse se terminer”, résume son jumeau Bryce Dessner.

C’est à travers l’écriture de la ballade mélancolique Your Mind Is Not Your Friend, inspiré par les mots de sa femme Carin, que la voix des National retrouve l’inspiration. Sur ce titre, Berninger invite la songwriteuse du moment Phoebe Bridgers à le rejoindre au chant, avant de la retrouver sur This Isn’t Helping. Deux autres vedettes (Taylor Swift sur les ondulations pop de The Alcott et Sufjan Stevens pour les chœurs de la vaporeuse ouverture Once Upon a Poolside) sont aussi au casting de cet album qui signe une quasi-renaissance pour les National.

The National - Eucalyptus (Official Video)

The National

Car en offrant de vrais espaces de respiration et une lumière singulière, lorsque Berninger prend seul la barre, que les rythmes s’envolent et qu’on frôle l’americana (Tropic Morning News, Eucalyptus) avec des guitares délicates et une batterie discrète (Ice Machines, The New Order T-Shirt), Two First Pages of Frankenstein remet de la noblesse dans le rock hors champ des National, décollant définitivement l’étiquette FM qu’on leur avait apposée ces dernières années.

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