Vénéré par Miles Davis et Keith Jarrett, le pianiste de Pittsburgh, personnage bien à part de l’histoire du jazz, est mort à l’âge de 92 ans le 16 avril.

Du jazz ? Pas pour lui. « Je joue de la musique classique afro-américaine », aimait préciser Ahmad Jamal. Un mois après Wayne Shorter, un autre génie de cette musique classique afro-américaine s’éclipse. Jamal, qui s’est éteint le 16 avril 2023 à Ashley Falls, dans le Massachusetts, était un véritable chahuteur de lignes, un révolutionnaire de son art, et notamment du trio piano-basse-batterie.

Comme Bill Evans et Oscar Peterson, Jamal aura défini, redéfini, surdéfini ce trio, avec une approche orchestrale singulière, tissant avec ses complices un paysage fait de dynamiques ou d’espaces. La discussion se faisait toujours à trois chez Jamal. Même lorsqu’il voulait nous faire croire que ses acolytes n’était qu’une garde prétorienne, faire-valoir savants d’un musicien égoïste. À l’image du fidèle James Cammack qui lovait ses lignes de contrebasse dans les moindres recoins des histoires que contait Ahmad Jamal.

Né le 2 juillet 1930 à Pittsburgh, dans une famille modeste (père aciériste, mère femme de ménage), il est l’héritier d’une tradition pianistique située quelque part entre Earl Hines, Art Tatum, Nat King Cole et Erroll Garner. Le garçon, précoce (pro à seulement 11 ans), se construit dans sa ville natale, écumant les clubs locaux, les big bands, et monte son premier groupe à 19 ans, fatigué de lutter avec d’autres leaders que lui-même. Car Ahmad Jamal est un meneur de notes, un porteur de styles.

AHMAD JAMAL . JAZZ Session 1971

AHMAD JAMAL - Official channel

Il a traversé le siècle jazz sans jamais se soucier des modes. Quand les épées du be-bop dégueulent mille notes à la seconde, Jamal préfère épurer à l’extrême. Et quand la fusion électrise Miles Davis ou Herbie Hancock, lui préfère approfondir la puissance acoustique. Ahmad Jamal ne suit personne, car tout le monde le suit et s’adosse contre son phrasé et son swing singuliers… Son aura est telle que Miles Davis, qui le défendait quand son style ne faisait pas encore l’unanimité, reprend plusieurs de ses thèmes, comme Ahmad’s Blues ou New Rhumba. Mais c’est dans la relecture, inlassable, des grands standards qu’Ahmad Jamal affine son style. Dès l’album Chamber Music of the New Jazz qu’il enregistre en 1955 avec son trio, il fait résonner des classiques comme A Foggy Day ou All of You comme personne ! En 2000 encore, il grave sur disque son 70e anniversaire à Paris à l’Olympia, avec des versions renversantes d’Autumn Leaves ou My Foolish Heart. Une démarche quasi philosophique qu’il décrivait avec précision : « Je ne connais personne qui travaille dans cette musique et qui n’utilise pas les standards. C’est ce qui rend unique la musique classique américaine. Je pense que nous avons interprété ces standards au-delà des rêves les plus fous de leurs compositeurs. » Évidemment, le thème Poinciana, écrit en 1936 par Nat Simon, restera sans doute à jamais son titre ultime. Il est la locomotive de son best-seller, Ahmad Jamal at The Pershing : But Not for Me, un album live enregistré en 1958 avec le contrebassiste Israel Crosby et le batteur Vernel Fournier.

Les années 60 et 70 sont assez chaotiques pour lui, entre la fermeture de son club de Chicago, l’Alhambra, son divorce et ses relations tendues avec l’industrie de la musique. Mais il signe pourtant des disques fabuleux comme The Awakening en 1970 pour le label Impulse!. Sans jamais cesser d’enregistrer, il refait parler de lui durant les années 80 avant d’être enfin réellement célébré à sa juste valeur à partir des années 90. Notamment grâce à la France où plusieurs labels locaux (Birdology, Dreyfus Jazz, Jazz Village) le font copieusement enregistrer jusqu’à la fin de sa vie. Même les rappeurs comme Nas, Joey Bada$$, Pete Rock & C.L. Smooth, De La Soul ou Jay-Z iront puiser à la source Jamal en samplant certains de ses titres.

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