En vue du 80e anniversaire de la naissance de Blandine Verlet (disparue en décembre 2018), Universal Music France a réédité l’intégralité des enregistrements que la claveciniste réalisa pour la maison Philips entre 1970 et 1982. Une somme longtemps disparue, rééditée en partie en haute définition, à redécouvrir de toute urgence, notamment pour les prises de son Philips de l’époque, souvent miraculeuses. Universal a autorisé Qobuz à reproduire la longue et détaillée notice de présentation du livret, écrite par notre spécialiste classique.

Origines

C’est dans les sons tonitruants d’une année Beethoven finissante, 1970, que paraît sur la scène discographique une jeune femme hardie et discrète, déjà connue d’un public informé et passionné par la scène la plus avant-gardiste de l’époque. Lorsqu’elle entame sa collaboration avec le label Philips, Blandine Verlet est l’un des espoirs les plus excitants de cet instrument qu’est le clavecin, encore nouveau et intrigant pour beaucoup en dépit des efforts de reconnaissance déployés par ses propres professeurs. Née en 1942, Verlet est d’une génération qui a étudié directement avec des élèves de la grande pionnière Wanda Landowska. À commencer par Marcelle de Lacour, au Conservatoire national de musique de Paris. La bonne santé actuelle du clavecin français doit certainement beaucoup à cette dernière, qui a ouvert, au sein de l’institution parisienne en 1955, la classe de clavecin, et qui a pu œuvrer dès lors pour l’installation de l’instrument dans le paysage culturel. Blandine Verlet diversifie ensuite son apprentissage, prenant conseil auprès d’Huguette Dreyfus, Ralph Kirkpatrick aux États-Unis, et surtout Ruggero Gerlin – ces deux dernières figures ont étudié avec Wanda Landowska. Huguette Dreyfus donne probablement à Verlet une appétence singulière pour les instruments du XVIIIe siècle, et en particulier les Hemsch : la jeune claveciniste n’hésitera pas à exploiter les registres envoûtants d’un instrument de 1754, restauré au tout début des années 1970 par Claude Mercier-Ythier ; dans le cadre de sa collaboration avec Philips, les musiques de Jacques Duphly, Claude Balbastre et Johann Sebastian Bach résonneront volontiers sur cet instrument magique.

Défense de la musique française

En consultant même furtivement les répertoires gravés pour le label Philips entre 1970 et 1984, deux axes se distinguent nettement : la musique française du XVIIIe siècle, et celle de J. S. Bach qui totalise à elle seule onze LP. Ces deux domaines marqueront la vie et la discographie de Blandine Verlet. Malgré la présence aimante de son époux Igor B. Maslowski, producteur important de la maison Philips en France, la musique de Bach était aussi un corpus certainement plus défendable au sein d’un label dont l’envergure avant tout internationale n’autorisait qu’avec parcimonie d’aborder des répertoires moins courus et risqués à l’époque. C’est pourtant bien dans ces répertoires « risqués » que Blandine Verlet s’est distinguée en tout premier lieu pour Philips. En juin 1970, elle participe à l’aventure d’Il pastor fido, opus référencé à l’époque dans le catalogue des œuvres de Vivaldi, en réalité hommage affectueux au prêtre Roux d’un petit-maître français du début du XVIIIe, Nicolas Chédeville (1705-1782). Une année plus tard, Blandine Verlet s’associe à une jeune violoniste, Catherine Courtois – qui enregistrera au début des années 1980 des Sonates de Schumann et Prokofiev avec Catherine Collard –, pour un très intéressant programme comprenant des œuvres en duo de Leclair, Duphly et Francœur (!), agrémentées de pages plus brèves de trois autres compositeurs, dont le somptueux Mondonville – le début d’une révélation, puisque, à l’époque, le disque de Jean-François Paillard (Erato, 1981) comprenant trois des motets de Mondonville n’était pas paru. Un LP d’où se distinguent clairement, côté clavecin, deux Duphly élégants (La de Valmallette, La Madin).

Pour Blandine Verlet, l’aventure suivante chez Philips allait s’avérer plus significative. Disque en solo, musique française, premier des deux LP consacrés aux pièces de Jacques Duphly et Claude Balbastre, publié sous un titre légèrement racoleur : Musiques pour les princesses de France. Mais en décembre 1971, Verlet fait une petite infidélité à Philips en se tournant vers les disques Valois, et enregistrait trois suites de Louis Couperin : la claveciniste avait trouvé là un autre éditeur, Michel Bernstein, audacieux et réellement passionné par la nouvelle scène baroque, à tel point qu’il allait fonder en 1975 un nouveau label, Astrée, dont le but était la « deffense & illvstration de la mvsiqve française ». Avec Bernstein, Verlet put concrétiser un vœu bien plus fou : s’occuper prioritairement de musique française. Leur grande œuvre, dans les années 1970 et 1980, demeure l’intégrale des Pièces de clavecin de François Couperin. Viendront ensuite celles de Louis Couperin au début des années 1990.

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