En Australie, une nouvelle génération d’artistes est en train s’approprier le rap à sa manière, en y injectant une grande dose d’Afrique et de sonorités profondes. Car depuis son émergence à la fin des années 1980, le rap local a toujours su se démarquer de son grand-frère américain. Souvent avec brio.

Sound Unlimited – A Postcard from the Edge of the Underside (1992)

Que les choses soient claires : le hip-hop australien n’est pas né avec Sound Unlimited. Mais c’est ce groupe originaire de Sydney qui l’a sorti de l’underground en devenant le premier groupe de rap du pays à signer sur une major, Sony. En 1992, leur premier album intitulé A Postcard from the Edge of the Underside charriait un nombre d’influences délirant. A tel point que la scène underground ne les a jamais réellement respectés. Peu importe. Sound Unlimited mariait la tradition des breakbeats avec les synthétiseurs hurlants sur Sharks and Rodents, et piochait son énergie dans les rythmiques funk et rock. Un peu comme les Beastie Boys, mais encore plus versatile. Kickin’ to the Undersound ou Unity trahissent même un attrait pour la house, incarnée par la voix de la chanteuse Tina Martinez. Leur son sophistiqué était surtout parfaitement adapté au live, notion essentielle dans la musique australienne : les groupes internationaux peinant à financer des tournées sur l’île-continent, les groupes locaux se devaient d’assurer. Et Sound Unlimited assurait, pour sûr.

Curse Ov Dialect – Lost in the Real Sky (2003)

L’Australie a longtemps associé le rap au fun. Curse Ov Dialect, groupe cosmopolite de Melbourne, pratiquait une forme de hip-hop alternatif jouissif, bourré de mythes et de personnages. Une sorte de white trash cinématographique, à l’image de l’album Lost in the Real Sky, leur pièce maîtresse. Les voix trafiquées, les bruitages, les interludes composent de nombreux titres tels que Baby How ? ou Shamans. Il y avait chez eux quelque chose de foncièrement malaisant et singulier, des dissonances sur Hidden Fantasy ou sur le long morceau de clôture Water Thicker Than Blood. Le travail de production signé DJ Paso Bionic ne sonne comme aucune autre musique. Semblant sortir d’un film d’horreur, peuplée d’interludes mystérieux (The Truth About Tasmania), samplant et moquant la musique populaire de leur pays (Flag Ov Creatures), leur discographie a fait date dans l’histoire du hip-hop local, les plaçant comme les pontes du rap expérimental. Les morceaux Lost in the Real Sky ou The Fall of Houlihan (Button-Eyed Whiz-Kids) en sont les plus meilleurs exemples.

Def Wish Cast – The Legacy Continues… (2006)

L’influence américaine pure et dure, la voici. Def Wish Cast est un des groupes les plus importants du rap aussie. Leurs premiers albums Mad as a Hatter (1992) et Knights of the Underground Table (1993) les avaient placés comme les espoirs d’une scène rap authentique et brute, avant que le manque de succès ne les sépare jusqu’en 2006. Trois des quatre membres, Def Wish, Die C et Sereck, faisaient alors leur retour avec l’album The Legacy Continues… Seul le cerveau de la formation d’origine, DJ Vame, manquait à l’appel. Les beats sont donc signés par une multitude de producteurs, donnant à ce nouvel album une versatilité inédite et une lourdeur indéniable, comme sur les titres Shining the Armour ou Methond to Madness (qui charrie même des influences jazz-fusion). A la différence de plusieurs formations « concurrentes », les Def Wish Cast ont longtemps incarné une authenticité sonore et thématique, faisant partie de ceux qui n’ont jamais cessé de dépeindre les quartiers ouest et pauvres de Sydney. D’ailleurs, ils ont toujours refusé de gommer leur accent pour s’exporter, quitte à parfois le faire résonner exagérément, comme sur le titre The Lions Roar. Et si, comme bien d’autres rappeurs de l’époque, ils ont parfois dû céder aux sirènes du rock (de loin la musique la plus populaire en Australie), ils continuent d’incarner une droiture artistique majeure dans le pays.

Christine Anu – Stylin’ Up (2007)

Estampillée “chanteuse de pop urbaine”, Christine Anu n’est pas précisément une rappeuse. Mais si son album Stylin’ Up, sorti en 2007, figure dans cette liste, c’est parce qu’il est l’œuvre d’une artiste au croisement des genres, très imprégnée de l’influence rap, et très présente au sein de cette scène. Musicalement, ce disque (qui a rencontré un franc succès) s’imprègne plus largement de sonorités pop, rappelant parfois Neneh Cherry ou même Dido. Comme sur le titre Come On, aux nappes de synthétiseurs grandiloquentes, tout droit sorties de la pop anglaise. Là où le rapprochement rap se fait, c’est dans la démarche de production. Le trip hop est passé par là, et les samples, les scratchs, les influences jamaïcaines sont une des bases de Stylin’ Up. Elles ne se cachent même plus sur le titre Monkey and the Turtle, tout breakbeat dehors, avec son refrain R&B simplissime.

Hilltop Hoods – State of the Art (2009)

Serait-ce le groupe le plus connu du rap australien ? Certainement. Composé des rappeurs Suffa et Pressure, et de DJ Debris, Hilltop Hoods a sorti une volée de classiques : A Matter of Time (1999), The Calling (2003), The Hard Road (2006)… C’est simple, six de leurs huit albums se sont classés à la première place des charts australiens. Mais State of the Art est certainement celui qui a remporté le plus grand succès en 2009. Fortement ancrée dans le hip-hop, mais également dans la scène nu-metal, majeure en Australie, la formation pratique, encore aujourd’hui, un rap radiophonique taillé pour les nostalgiques des années 2000. Les refrains rock pullulent, comme sur Chase That Feeling ou Chris Farley (qui s’ouvre sur un hommage à Jerry Garcia, leader du Grateful Dead), et les mélodies easy listening (Fifty on Five, Parade of the Dead…) sont la norme dans cet album. Sur State of the Art, le groupe s’amuse également à manier une image un peu redneck, façon Australie profonde, qui se ressent dans les thèmes et les références, toujours avec un second degré très prononcé. De ce fait, Hilltop Hoods est parfois regardé de travers. Mais leur impact commercial et populaire est énorme en Australie.

Culture of Kings Vol. 1 – The Australian Hip-Hop Compilation (2009)

Les compilations du label Obese Records sont indispensables pour cerner l’histoire du rap en Australie. Le premier volume sorti en 2009 réunit des artistes majeurs tels que Koolism et son morceau All City, ou After Hours avec Grounded. Pas forcément les plus connus, mais peut-être les meilleurs, les plus imprégnés du boom bap classique, prouvant que la scène locale n’est pas qu’une affaire de folie et de rap golri. Il y a de la dureté comme sur l’excellent Propoganda de Kolaps, équipé d’une batterie et de synthés futuristes, et des moments de grâce comme le profond Originality de LTS, dont le flow et l’instru se rapprochent de la musique de MF Doom et de l’école Stones Throw. On retrouve également l’un des rappeurs de Hilltop Hoods, The Suffa MC, pour un titre en solo : Up and Down, bien plus dur et authentique que lorsqu’il évolue en groupe. Cette compilation, comme d’autres sorties par Obese Records (Obese Records Classics et Culture of King Vol. 3 ou encore Obesecity, toutes trois sorties en 2008) est incontournable, un point de départ vers le rap de tout un pays.

Créez un compte gratuit pour continuer à lire