Que reste-t-il de la première partie de la carrière d’Elton John ? Une discographie foisonnante, un nombre incalculable de tubes, le tout dans un décor exubérant aux recoins parfois sombres. À l’'approche de son double concert à Paris les 27 et 28 juin, retour sur les années 1970 d’un artiste généreux.

La boulimie mélodique d’Elton John saute aux yeux dans le film Rocketman, avec cette succession de tableaux reprenant les grands tubes de l’Anglais sortis dans les années 1970. Dès le plus jeune âge, avant même de prendre des cours à la Royal Academy of Music de Londres au début des années 1960, on dit que le petit Reginald Dwight (son vrai nom) avait le pouvoir presque magique de reproduire n’importe quel air au piano, immédiatement après l’avoir entendu. Certes, tout au long de sa carrière, il lui est arrivé de se reposer plus d’une fois sur ses lauriers de musicien surdoué, négligeant un peu la construction d’une persona pop à l’excentricité amusante mais assez vaine – plus proche du grand n’importe quoi kitsch d’un Liberace que des masques intellectuels de David Bowie.Et certes, l’identité musicale de ses albums est parfois discutable (moins dans la décennie qui nous occupe que par la suite, il est vrai). Mais l’histoire de la pop n’est pas faite que d’artistes s’interrogeant en profondeur et avec goût sur leur art et leur image. La grande et noble musique pop peut aussi provenir, plus simplement, d’un artiste généreux, créant des airs émouvants, consolants ou revigorants, le tout sur des harmonies à la fois populaires et savantes, et des textes parlant à l’auditeur avec le cœur. Et dans le cas du tandem Elton John (musique et chant)/Bernie Taupin (paroles), le terme « généreux » doit être pris au pied de la lettre : rien que pour la décennie qui nous occupe, on leur doit 13 albums !

Le « phénomène Elton John » dans les années 1970 se caractérise par un double récit passionnant. C’est tout d’abord le conte de fées d’un jeune homme apparemment banal et gauche, pur produit de la middle class anglaise, qui se transformera en star exubérante. Ensuite, c’est évidemment l’histoire d’une ascension sociale fulgurante qui s’accompagne, paradoxalement, d’une descente aux enfers difficilement gérable pour John et son entourage – notamment dans ses rapports addictifs à l’alcool et à la cocaïne. Et c’est surtout sur ce dernier point que le film de Fletcher met l’accent, au sein d’une dramaturgie très efficace. Même si, de ce fait, l’histoire de la création musicale s’en trouve quelque peu occultée – ce que nous allons tenter de corriger ici.

Sorti le 6 juin 1969, le premier album (comme souvent sur les premiers albums) d’Elton John est marqué par une multitude d’héritages, à commencer par celui de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles (1967), dont le chanteur suit la trace tel un Petit Poucet aux chaussures à semelles compensées. Il faut dire que l’objet ambitieux et audacieux des quatre génies de Liverpool est probablement la source d’inspiration première de bon nombre d’artistes pop de cette fin de décennie. Empty Sky comprend notamment Skyline Pigeon, probablement la chanson la plus connue de l’album. Sur cette ballade romantique qui tend vers l’hymne, Elton John est le seul maître à bord puisque c’est lui-même qui s’accompagne au clavecin et à l’orgue. Quant aux paroles, elles mettent en parallèle la liberté récemment recouvrée d’un oiseau et le désir de liberté d’un homme. Il n’y a rien de follement original dans tout cela, mais la chanson a au moins le mérite de refléter le propre désir d’Elton John de se libérer d’un joug familial dans lequel il manquait manifestement d’amour. La chanson sera reprise trois ans plus tard dans Don’t Shoot Me I’m Only the Piano Player, les cordes et le piano remplaçant de manière plus convenue (mais plus efficace ?) les deux instruments d’origine.

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