Disparu en 2014 à Cambridge des suites d’une tumeur au cerveau, Christopher Hogwood fut un des principaux acteurs de l’immense lame de fond provoquée par le mouvement historique qui s’est emparé de la musique baroque et classique à la fin du XXe siècle. En créant son propre ensemble, l’Academy of Ancient Music en 1973, il a jeté les bases d’une nouvelle conception de l’interprétation historiquement informée, mettant à bas les traditions poussiéreuses. Chef d’orchestre, claveciniste, écrivain et musicologue anglais, il laisse un abondant catalogue pour le label L'Oiseau-Lyre, qui a accompagné son remarquable travail de défricheur.

Christopher Hogwood n’a vraiment rien d’un musicien instinctif. Son approche musicale a été entièrement encadrée par de solides études générales englobant la musique et la littérature classique dans un des établissements les plus huppés et réputés de Cambridge, le Pembroke College. La discipline y est stricte et d’un autre âge, les étudiants doivent porter la robe et arriver à l’heure pour la prière précédant le dîner. Selon une vieille légende, Pembroke est également peuplé de fantômes. C’est dans cette atmosphère toute britannique que Christopher Hogwood fait ses humanités avant d’étudier le clavecin avec les deux pionniers Raymond Leppard et Thurston Dart, puis avec Rafael Puyana et Gustav Leonhardt. Il étudie également à Prague avec Zuzana Ruzickova pendant un an, grâce à une bourse du British Council.

En 1967, il fonde le Early Music Consort of London avec le flûtiste et musicologue David Munrow, son condisciple au Pembroke College. Les deux jeunes gens se font immédiatement connaître dans le domaine de la musique ancienne, où tout reste à faire. Malheureusement, David Munrow se suicide pour des raisons restées obscures dans l’éclat de ses 34 ans, au début de sa fulgurante ascension musicale. Passionné par les voyages, la voile, le jazz et les antiquités, collectionneur d’instruments anciens, c’était un jeune homme érudit auquel tout semblait réussir. Sa mort est durement ressentie par son entourage, mais aussi par toute une génération de mélomanes qui se trouve privée de ses connaissances du jour au lendemain. John Eliot Gardiner a rendu hommage à ses deux confrères lors de la disparition de Hogwood : « Ces deux frères pionniers des interprétations historiquement informées étaient mes exacts contemporains à Cambridge. Ils constituaient un formidable duo. Hogwood se distinguait par une allure frappante, assis au clavecin, barbu et en sandales… »

Après avoir pratiqué la harpe médiévale, l’orgue positif et la vielle à roue au sein du Early Consort, Christopher Hogwood crée son propre ensemble sur le modèle de l’Academy of Ancient Music, fondée en 1726 pour jouer de la musique « ancienne » – comme quoi chaque époque possède ses baroqueux. Renommé à l’identique, ce nouvel ensemble se donne pour but de jouer la musique des XVIIIe et XIXe siècles sur des instruments anciens ou copiés de l’ancien, avec des modes de jeu correspondant à la pratique instrumentale de cette époque.

Collaboration avec L'Oiseau-Lyre

Premier label à produire et à vendre des 33 tours en France, L'Oiseau-Lyre était le bras discographique de la maison d’édition du même nom fondée à Monaco en 1932 par les soins de Louise Hanson-Dyer, une mécène et musicienne australienne établie en France. On lui doit les premières éditions modernes d’un grand nombre de compositeurs européens du XVe au XIXe siècle, dont le projet d’une intégrale des œuvres pour clavier de François Couperin. La branche discographique de L'Oiseau-Lyre a ensuite été vendue à Decca en 1970, qui en a conservé le nom aux fins de créer un label spécialisé dans la musique ancienne, alors en pleine redécouverte. Des partenariats fructueux sont aussitôt réalisés entre de jeunes musiciens et leurs nouveaux ensembles qui peuvent bénéficier des techniques de pointe des preneurs de son et producteurs de Decca. Ce travail de pionnier a produit des enregistrements dont certains sont devenus des références avec des musiciens tels Anthony Lewis, Anthony RooleyPhilip Pickett, James Bowman, Emma Kirkby et plus tard Christophe Rousset, Christophe Coin et tant d’autres.

En choisissant d’enregistrer des œuvres du compositeur anglais Thomas Arne en 1973, Christopher Hogwood et The Academy of Ancient Music ne se doutaient certainement pas qu’ils jetaient les bases d’un impressionnant catalogue pour L'Oiseau-Lyre, qui allait comprendre de nombreuses redécouvertes et suivre l’évolution des interprétations « historiquement informées ». Surnommé péjorativement « baroqueux » en France au début, ce mouvement, que l’on prenait pour un effet de mode, allait perdurer et s’amplifier dans le monde entier avec une qualité d’exécution s’améliorant au fil du temps. Cet album fondateur doit être écouté dans sa perspective historique à une époque où l’on tâtonnait sur le plan de l’articulation, du style et de la réappropriation de la maîtrise d’instruments disparus ou que le temps avait profondément modifiés.

D’un caractère désagréable et bagarreur, Thomas Arne (1710-1778) écrivait pourtant une musique parfaitement stylée et d’une élégance aristocratique. Le style Hogwood est déjà présent dans ce premier enregistrement avec sa rythmique dansante et des mouvements lents expressifs. Les très jeunes musiciens de l’ensemble fraîchement fondé, comme la violoniste Monica Huggett (20 ans), côtoient des musiciens chevronnés qui s’essayent alors aux instruments anciens, tel Alan Civil, cor solo du Philharmonia Orchestra, qui joue ici du cor naturel après avoir enregistré, en 1966, la partie de cor solo de la chanson For No One des Beatles, qu’il considérait comme « la performance de sa vie ». Il n’existe aucune frontière dans l'esprit des musiciens britanniques.