Chaque mois, la rédaction de Qobuz repère pour vous les sorties à ne pas manquer, dans tous les genres.

CLASSIQUE (Pierre Lamy)

Quoi de mieux pour ouvrir le bal des sorties classiques de ce mois de mars que le fracassant retour aux sources de Francesco Tristano ? Vingt ans après son premier album consacré aux concertos pour clavier de Bach, l’enfant terrible du piano, qui a toujours refusé de choisir entre le baroque et la techno de Detroit, vient de sortir chez Scala Music Bach Stage, dans lequel il revisite le programme avec de nouvelles cadences contemporaines. Si la démarche vous intrigue, vous pourrez le retrouver bientôt en interview dans nos colonnes ! On poursuit avec une superproduction d’opéra très attendue à paraître chez Warner le 10 mars : Turandot de Puccini, servi par un casting cinq étoiles : Jonas Kaufmann, Ermonela Jaho, Sondra Rodvanosvsky sous la baguette d’Antonio Pappano !

La même semaine, les Arts Florissants font paraître chez Harmonia Mundi deux pépites de musique vocale autour de Carlo Gesualdo (ici et ), compositeur napolitain qui traîna une réputation sulfureuse pour avoir fait assassiner sa femme et son amant. On réparera l’affront avec un album bien plus féministe : Compositrices, la dernière compilation du label Bru Zane, mettra en lumière les compositrices romantiques françaises, injustement mises au ban de l’histoire de la musique. Côté piano, on ne manquera pas non plus l’ambitieuse Intégrale des Sonates de Mozart par Yeol Eum Son chez Naïve le 17 mars, ni l’intimiste récital Chopin-Bach Vitamin C par James Rhodes le dernier jour du mois. Enfin, Decca nous fait le merveilleux cadeau de publier une sélection de masters inédits de l’immense et regrettée soprano Jessye Norman, trop tôt disparue. Un vibrant hommage.

MUSIQUES ELECTRONIQUES (Smaël Bouaici)

Au rayon électronique, la lumière vient ce mois-ci du pionnier de la techno américaine Jeff Mills, qui revisite une troisième fois le film de Fritz Lang Metropolis, cette fois à travers une « symphonie électronique » jouée par un orchestre de machines. Kerri Chandler, l’une des grandes figures de la house new-yorkaise, sort de son côté le second volume de Lost and Found, la série qui revisite ses trois décennies d’archives musicales. Côté Hexagone, un ancien et une nouvelle : le héros de la French Touch I:Cube a fait son retour fin février avec l’excellent album Eye Cube, sur lequel il dit adieu au dancefloor. Et la nouvelle, c’est Sabrina Bellaouel, qui entrechoque R&B et musiques électroniques sur son premier album Al Hadr chez InFiné, le label de Rone. Une artiste à suivre de près.

CHANSON FRANÇAISE (Nicolas Magenham)

Le mois de mars démarre avec un mini-LP de Dominique A, intitulé Reflets du monde lointain. Sorte de face B du sublime Monde réel sorti en 2022, ces morceaux élégants et désenchantés ont été réalisés dans la foulée, avec la même équipe. Dans la série « fringants quinquagénaires », signalons aussi Les Cent Prochaines Années d’Albin de la Simone, qui sort le même jour, six ans après L’Un de nous. Pop mélancolique sur arrangements finement ciselés.

A la fin du mois, Christian Olivier sort l’atypique Le Ça est le ça, qui s’inscrit dans la continuité de son projet La Révolution du cœur. Le fondateur des Têtes raides a composé des musiques sur des poèmes de poètes russes (dont un certain Sergueï Rachmaninov). A l’autre bout du spectre de la chanson française se trouve Flavien Berger, qui sort l’hypnotisant Dans Cent Ans le 17 mars. Mêlant électro, chanson et musique savante, cet album vient clore une trilogie lunaire entamée en 2015 avec Leviathan.

WORLD (Stéphane Deschamps)

Pour annoncer le printemps, rien de tel que le Curyman du Brésilien Rogê, qui ressuscite la samba pop tropicaliste des années 60-70. Avec le légendaire Arthur Verocai aux arrangements de cordes, cet album a des airs de faux classique, et de vrai bonheur. Autre légende, posthume et africaine : le maître malien Ali Farka Touré avec l’hypnotique Voyageur, un album de neuf titres inédits (dont trois avec Oumou Sangaré) à la hauteur de sa discographie. Un autre Malien, Ballaké Sissoko, est à la manœuvre dans Les Egarés, un album subtil où la kora converse avec le violoncelle de Vincent Ségal, l’accordéon de Vincent Peirani et le piano d’Emile Parisien. Et pour qui préfère les sons du monde dans les salles de rock ou sur les pistes de danse, saluons le retour d’Altin Gün avec Ask, un cinquième album psyché-turc ébouriffant et haletant.

RAP (Brice Miclet)

Venu de Genève, Varnish La Piscine, nouvelle recrue du label Ed Banger (Justice, Breakbot…), s’est imposé comme l’un des producteurs rap francophones les plus singuliers de sa génération, notamment grâce à son travail avec Makala et ses deux premiers EP solo. En voici un troisième, This Lake Is Successful, formidable virée funk synthétique où se croisent rap, musiques brésiliennes et bandes originales de jeu vidéo. De son côté, le vétéran Rocca sort Cimarron, sixième album solo composé en collaboration avec le regretté DJ Duke, décédé en 2020. Un disque frontal où se croisent des bastos expéditives et des featurings de Benjamin Epps ou Tedax Max.

Aux Etats-Unis, Macklemore explore ses démons et la pensée magique dans son cinquième album, BEN, très personnel et très pop à l’instar du single Maniac. Si le rap y demeure central, notamment grâce à la présence de DJ Premier et NLE Choppa, le rock y a toute sa place. Rock encore avec le troisième album du sale gosse du rap anglais, slowthai, qui publie Ugly, sorte d’exutoire trash et ultrasensible peuplé de hurlements et de pleurs, de passé ressassé. Pour une fois, le terme « album thérapeutique » n’est pas galvaudé.

REGGAE (Smaël Bouaici)

Du côté de la Jamaïque, c’est Charly Black qui fait les gros titres. L’auteur du tube mondial Gyal You a Party Animal sort un nouvel album, No Excuses, avec des featurings de haut rang entre Richie Spice, Bounty Killer ou Sean Paul – et il y a même une version acoustique de Party Animal au cas où on l’aurait oubliée. Clairement la perle du mois. Côté français, il ne faut pas manquer le retour de Taïro, qui sort 360, Pt. 2 avant son concert à l’Olympia le 25 mars, et le nouvel album de Big Red, ex-moitié de Raggasonic, qui revient au reggae roots et au rocksteady sur Come Again, l’un de ses meilleurs disques.

BLUES/COUNTRY/FOLK (Stéphane Deschamps)

Il a tous ses trimestres mais il en veut encore : à 89 ans, la légende country Willie Nelson sort son 72e (oui, vous avez bien lu) album studio, I Don’t Know a Thing About Love, consacré au répertoire du compositeur Harlan Howard. Et comme d’habitude avec ce vieux Willie, l’album est très digne et rassurera les fans à défaut de lui en apporter de nouveaux. Loin de la country classique, la Californienne Shana Cleveland sort avec Manzanita le disque folk pop le plus doux et planant du moment, comme un retour de Mazzy Star version feu de camp.

Dans le blues, c’est le retour des troubadours : honneur au vétéran (toujours vert) Eric Bibb, qui revient avec Ridin’, nouvelle preuve de son éclectisme éclairé, entre folk, soul et blues, entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Dans son sillage et dans le même style, on croise le plus jeune (mais plein de sagesse) Bai Kamara Jr. Traveling Medicine Man, son deuxième album, est une très attachante balade au pays du vieux blues et de ses souvenirs d’Afrique.

ROCK & ALTERNATIF (Charlotte Saintoin)

Rattrapage, d’abord. Pour ceux qui l’avaient loupé, ce 24 février, le gang de Brooklyn Model/Actriz, porté par le chant sensuel du déjà charismatique Cole Haden, sortait Dogsbody, un premier album à la beauté sensuelle et désespérée, entre noise et post-punk. Toujours droits dans leurs bottes, les deux affreux jojos de Nottingham Sleaford Mods continuent de tailler des costards dans UK Grim, fin concentré de punk-rap minimaliste sur lequel Florence Shaw de Dry Cleaning pose une pointe de douceur.

Produit par Noah Goldstein et mixé par le grand Alan Moulder, Praise a Lord Who Chews but Which Does Not Consume; (Or Simply, Hot Between Worlds) d’Yves Tumor est la grosse pépite du mois (sortie au 17/03). Comme l’EP The Asymptotical World ou sa tournée récente avec Nine Inch Nails le présageait, l’inclassable Américain continue de délier son langage expérimental pour aller vers plus de guitares. On noircit sur nos carnets la date du 24 pour marquer le grand retour de Depeche Mode (Memento Mori) et celui de Lana Del Rey (Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd) – deux albums bientôt disponibles – mais surtout écouter les orchestrations de The Art of Forgetting, disque de rupture amoureuse sublime de Caroline Rose nourri de cordes, ou encore se lover dans le groove feel good de l’Australien Matt Corby, dont la maison a été inondée au premier jour d’écriture d’Everything’s Fine.

Le 31, on clôture en beauté avec Ralph Molina, Billy Talbot, Nils Lofgren (E Street Band) et Neil Young. Les vieux briscards de Crazy Horse et le Loner se retrouvent sur la compilation All Roads Lead Home, des titres écrits pendant le confinement et enregistrés au chaud à la maison. L’hiver touche à sa fin.

ROCK/METAL (Maxime Archambaud)

Le mois démarre avec le cinquième album de Periphery, Periphery V : Djent Is Not a Genre. Un parfait cocktail de folie destructrice sauce metal prog bouffi de jazz, de surprises mais surtout de talent. On enchaîne avec le retour de Suicide Silence avec un Remember... You Must Die extravagant qui montre son chanteur, Eddie Hermida, sous son meilleur jour. Toujours le 10 mars, Roadrunner United revient à la mode avec The All-Star Sessions et le fameux concert qui avait vu ce gigantesque disque événement prendre vie sur scène. Ce sera ensuite le retour de The Answer avec Sundowners et son classic rock ultra efficace, pendant que les Américains de Pop Evil lâcheront Skeletons, nouvelle galette 100 % metal moderne qui mérite la découverte. Floor Jansen, chanteuse de Nightwish, se lance en solo le 24 mars avec Paragon, où la grande dame s’amuse avec un large éventail d’influences (Daydream, le single, est déjà disponible). On termine avec le retour des monstres finlandais de Lordi et leur Screem Writers Guild rendant hommage aux films de la Hammer, mais surtout avec la réédition de l’extraordinaire Existential Reckoning de Puscifer qui devrait finir de mettre tout le monde d’accord.

JAZZ (Stéphane Ollivier)

La conversation, c’est le thème de ce mois de mars, avec les parutions de deux duos inédits, d’abord le saxophoniste français Pierrick Pedron et le pianiste cubain Gonzalo Rubalcaba (Pedron Rubalcaba, le 3 mars sur le label Gazebo) ; puis le pianiste Thomas Enhco avec le contrebassiste Stéphane Kerecki (A Modern Songbook (Masterworks) le 31). Dans un registre plus intellectuel et formaliste, le pianiste franco-américain Dan Tepfer propose avec Inventions/Reinventions une passionnante plongée dans l’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Le jazz US n’est pas en reste avec la sortie chez ECM du nouveau disque du trompettiste Ralph Alessi It’s Always Now, présentant pour l’occasion un nouveau quartet composé notamment du pianiste allemand Florian Weber et de la légende de la batterie Gerry Hemingway.

De son côté, le batteur Kendrick Scott publiera chez Blue Note avec Corridors son premier album en trio avec Reuben Rogers à la contrebasse et Walter Smith III au saxophone ténor. La réédition sous le titre Go West ! de deux albums incontournables enregistrés par le « colosse du saxophone » Sonny Rollins à la fin des années 50 sur le label Contemporary (parmi lesquels le chef-d’œuvre Way out West ! enregistré également en trio) sera l’occasion d’une intéressante mise en perspective… Enfin deux musiciennes exceptionnelles sont de retour : la flûtiste Naïssam Jalal avec Healing Rituals, proposant à la tête d’un quartet faisant la part belle aux cordes un « world jazz » modal et spiritualiste d’une grande force poétique ; et la vocaliste Cécile McLorin Salvant avec Mélusine, qui mêle compositions personnelles et standards de la chanson française métamorphosés.