Rick James
Lorsque le nom de Rick James commence à circuler sous le manteau, le funk n’est déjà plus très funky. Les années 70 vivent leurs dernières minutes et le disco pénètre tous les recoins de cette musique sensée célébrer le rythme, le groove et la liberté. En activité depuis plus d’une décennie, P-Funk titube entre les genres et aucune relève digne de ce nom ne pointe le bout de sa coupe afro à l’horizon. Qui ramassera le flambeau du funk enragé, peinture des turpitudes du ghetto ? Qui osera renverser les caisses de paillettes qui ont bouché les oreilles des plus grands spécialistes de l’idiome funk ? Rick James ! Son parcours est atypique car baigné de toutes les formes musicales possibles. La carrière de cet autodidacte ouvert au R&B (Wilson Pickett), à la pop (Beatles), au rock’n’roll (Chuck Berry, Jimi Hendrix), à la soul (Sam Cooke, Curtis Mayfield), au jazz (Sonny Rollins, Max Roach, Miles Davis) et au folk (Bob Dylan) démarre en 1965 au Canada où il s’est installé pour fuir l’enrôlement dans les troupes américaines envoyées au Vietnam. Là-bas, à Toronto, il monte son propre groupe, les Mynah Birds avec à la basse Bruce Palmer et à la guitare un certain Neil Young. Baptisé le Jagger noir par ses confrères, Rick enregistre plusieurs singles qui ne verront jamais le jour. La suite sera plus fructueuse pour Palmer et Young partis monter le Buffalo Springfield. Rick James passe quant à lui la période 70-76 à la tête de combos oubliés (Main Line, White Cane, etc.). En 1977, sa nouvelle formation, Stone City Band, livre un funk rock nerveux plutôt inédit pour l’époque. Berry Gordy est séduit et le signe pour un premier album finalement publié sous le nom de Rick James & The Stone City Band. Avec Come And Get It (1978), le funk retrouve ses couleurs. L’année suivante Bustin’ Out Of L Seven place Rick James à la seconde place des charts R&B. Alors que les ondes vomissent du disco à longueur de journée, sa musique célèbre les préceptes de Sly Stone et de P-Funk enrobés d’un son plus moderne. Le public suit. Rick tourne alors à travers les États-Unis (un certain Prince fait sa première partie…) mais Fire It Up en 1979 (des égarements disco pop) et Garden Of Love en 1980 (des ballades soul assez gnangnan) laissent présager une fin de carrière prématurée. Rick James serait même au fond du trou, réduit à l’état de junky.
À la surprise générale, son album d’avril 1981, Street Songs, vient non seulement anéantir toutes ces ragots mais propulser l’ancien collègue de bureau de Neil Young au sommet des charts R&B et… à la troisième place des charts pop ! Pour le critique Craig Werner, Street James n’est rien moins que le pont entre P-Funk et Purple Rain de Prince. Impeccable instantané de la musique noire américaine de ce début des années 80, Street Songs est la meilleure assimilation du disco que le funk ait jusqu’ici proposé. Rick James n’utilise que la substantifique moelle du disco qu’il injecte à son funk cru, épuré et sauvage. Le but est sûrement de remplir le dancefloor, les textes sont tous sauf décervelés. Ghetto Life, Below The Funk (Pass The J) et Mr. Policeman apportent une caution sociale, tandis que Give It To Me Baby, Make Love To Me, Fire And Desire et Super Freak sont des cartes postales bien vicieuses et groovy auxquelles le public s’identifiera rapidement. Comme souvent lorsque l’on touche les sommets de la musique black, le héros maîtrise toutes les étapes de son œuvre : paroles, musique, production, arrangements, Rick est l’artiste complet ! La rue, la drogue, les violences policières, les ghettos, le sexe a gogo, tous les thèmes qu’il aborde alors nourriront la musique noire américaine des années à venir, le gangsta rap en tête.
Vingt ans plus tard, la pochette de Street Songs fait sourire : Rick le macho, emballé dans une combinaison de cuire noire, chaussé de tiagues vernies rouges fluo piquées au chat botté, s’appuie contre le réverbère d’une rue sombre de New York, sa basse Rickenbacker blanche en bandoulière… Un sommet kitch de l’exubérance en plastique des 80’s. Mais surtout, la version 81 des tables de la loi funk de Sly, Clinton et Jaaaaames. La rythmique louche vers des sonorités new wave, les guitares abordent les rives du metal, Street Songs est l’anti-thèse du Celebration de Kool & The Gang ou du Fantasy d’Earth, Wind & Fire. New funk, naked funk, punk funk, toutes les étiquettes y passent. Pour Motown, Street Songs est surtout un don (financier) du ciel. Ayant atteint le sommet, Rick James peut commencer sa descente aux enfers. Si Throwin’ Down (1982) et Cold Blooded (1983) se vendent très bien, leur contenu n’est pas à la hauteur de Street Songs. Rick profite de sa notoriété pour lancer les Mary Jane Girls (son girl group trashy), produire le comédien Eddie Murphy (en plein Flic de Beverly Hills) mais surtout consommer tout ce qui lui passe sous la main (coke de préférence) en quantité astronomique. Cures de désintoxication et passages au tribunal viennent ponctuer la sortie de ses albums de 1985 (The Glow), 1986 (The Flag) et 1988 (Wonderful). Rick James a beau fréquenter les stars du rap, ses disques de plus en plus complaisants s’éloignent de la rue. Sa carrière en déclin ressemble alors à s’y méprendre à celle de son idole, Sly Stone. En 1991 puis 1994, Rick passent de longs séjours en prisons. Dope, proxénétisme, violence, son quotidien est celui des personnages de ses chansons. En 1996, libre et clean, il tente un retour sans réel succès (Urban Rhapsody avec Snoop Dogg en guest sort en 1997), ses revenus se limitant aux samples qu’utilisent les rappeurs comme Jay-Z ou Mary J Blige. Deux ans plus tard, il fait une crise cardiaque et perd l’usage de ses jambes. Le 6 août 2004, il est retrouvé mort à son domicile de Los Angeles. L'autopsie révèlera que son sang contenait une belle liste de produit : alprazolam, diazepam, bupropion, citalopram, hydrocodone, digoxin, chlorpheniramine, méthamphétamine et cocaïne... Rick James n’aura jamais su gérer le succès de ses Streets Songs et ses abus en tous genres. Il n’imageait pas que sa dégringolade coïnciderait avec la montée en puissance de son élève le plus doué : un dénommé Rogers Nelson alias Prince…
© MZ/Qobuz
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