Ce n'est pas si fréquent : un chef invité donne deux séries consécutives au Philharmonique de Berlin. Après son très émouvant Bruckner précédé d'un intrigant Crumb, Zubin Mehta accompagnera Rudolf Buchbinder dans Beethoven avant de nous offrir une indubitablement somptueuse Vie d'un héros de Strauss, avec quelques miettes de Webern en hors-d'œuvre.

Mais rendons d'abord hommage à Claudio Abbado, disparu à l'âge vénérable de 80 printemps, six mois et vingt-cinq jours ce lundi 20 janvier 2014, et qui fut chef principal du Philharmonique de Berlin de 1989 à 2002. Aux antipodes de Karajan, il ramènera l'orchestre et surtout la fonction de chef dans le giron des humains préoccupés uniquement de musique et de beauté - là où son prédécesseur a pratiqué une assez lourde (voire casse-pieds) politique de culte de sa propre personnalité. Certes, les premiers temps ne sont pas aisés et bien que ce soit l'Orchestre lui-même qui l'ait élu à sa tête, certaines têtes font la forte tête et tentent de ramener le lien chef-orchestre sur ce terrain de rapport de force maître-serviteur : il existe quelques vidéos de répétitions assez pénibles ou tel ou tel musicien tente de déstabiliser Abbado sur de ridicules points de détail. En vain ; le chef saura graduellement ramener le calme et la bonne humeur dans cette phalange très éprouvée par tant d'années de karajanisme. Lorsqu'il quitte le Philharmonique de Berlin en 2002, Abbado sait qu'il reviendra chaque année pour un concert en tant qu'invité. Ces événements seront attendus par le public mais - surtout - par l'orchestre avec bonheur, ainsi qu'en témoignent les archives de la Salle de concerts numérique. Sa dernière apparition berlinoise, le 19 mai 2013 - voici à peine quelques mois - le montre certes frêle, mais en absolue possession de ses moyens musicaux ; la gestique épurée (mais d'un contrôle total des événements) laisse pleinement s'épanouir les musiciens qui, en retour, lui retournent une vision magnifiquement transparente et émouvante du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohnet de la Symphonie fantastique réellement fantastique, sans aucun doute la plus émouvante lecture des Berlinois depuis longtemps. Sic transit gloria mundi...

Mehta visiblement ému après Bruckner

la semaine passéeAprès le triomphe tranquille de la Neuvième de Bruckner la semaine passée, Zubin Mehta reste à Berlin pour un second programme. Quelques miettes de Webern constituent le hors-d'œuvre - à ne pas prendre comme une critique, aucune de ses pièces ne dépasse la poignée de minutes, et parmi les Six pièces Op. 6b au programme, la plus longue en dure à peine quatre, la plus courte cinquante secondes... Après son habituelle révérence à la musique plus ou moins contemporaine, Mehta accueille Rudolf Buchbinder dans le Cinquième concerto de Beethoven, du grand stock pour l'Orchestre. Après une pause bien méritée, c'est Une vie de héros de Strauss, certes pas le plus émouvant de ses poèmes symphoniques mais sans doute l'un de ses plus imposants et majestueux. Dans cet autoportrait musical de 1898, Strauss dépeint sa vie conjugale avec Pauline de Ahna, qu'il a épousée cinq ans plus tôt. Le héros, c'est lui ; reste à savoir s'il résiste héroïquement à la poigne de Pauline, s'il la défend héroïquement contre les méchants de tout poil, s'il s'arme héroïquement contre les critiques et autres imbéciles, s'il prend héroïquement sa retraite de la carrière de chef d'orchestre hyper-actif en se consacrant plutôt à la composition... Ou un mélange de tous ces héroïsmes. Ses plus ardents détracteurs y ont vu un auto-encensement éhonté, avec force auto-citations (une trentaine en tout), ses admirateurs une gigantesque et pantagruélique pièce montée orchestrale. Le mieux est d'écouter Une vie de héros sans se préoccuper de l'argument, d'autant que les intertitres ("Le héros", "Les adversaires du héros" etc. ) ont été rapportés a posteriori et n'ont rien d'autographe.

La saison complète 2013-2014 du Philharmonique de Berlin, sujette à d'éventuelles petites modifications dont nous vous tiendrons informés au jour le jour

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Les archives de la Salle de concerts numérique, soit 234 concerts à ce jour.