La nouvelle vague « jazz » britannique n’en finit plus de brouiller les frontières entre les styles et de faire éclore de ce magma fusionnel de nouveaux talents parfaitement insituables, puisant leurs références dans l’histoire du jazz comme dans la pop culture, les musiques ethniques, la nouvelle musique et l’électro expérimentale. Après Nubya Garcia et tout récemment Emma Rawicz
, c’est au tour de Laura Misch, une saxophoniste d’à peine 30 ans, de faire sensation avec Sample the Sky, un premier disque tout en maîtrise d’une indéniable fraîcheur et inventivité. Repérée par le petit monde arty londonien pour ses deux premiers EP (Playground en 2017 et Lonely City en 2019), flirtant avec l’ambient et la « dreamy electronica », Laura Misch se démarque de ses condisciples par son rapport distancié à l’instrument, intégrant ses sonorités chaudes et veloutées à la large palette de son instrumentarium comme une sorte d’ersatz de sa voix, loin de toute référence directe aux maîtres du jazz.
Chanteuse plus que saxophoniste donc, mais aussi flûtiste, claviériste et surtout autrice-compositrice, productrice et arrangeuse inspirée, Laura Misch invente dans Sample the Sky une musique soyeuse, cotonneuse et atmosphérique influencée certes par le jazz dans certains processus compositionnels et la sophistication des arrangements, mais relevant bien plus dans son rendu sonore de la pop alternative et de la musique électronique expérimentale.
Conçu en étroite collaboration avec le producteur de musique électronique William Arcane, ce recueil de chansons aux formes libres et mouvantes dessine autour de la voix à la fois angélique et sensuelle de la Londonienne des paysages oniriques et ultra-sensoriels, intégrant par moments des éléments sonores saisis dans la nature (cf. le single Hide to Seek, qui utilise des enregistrements de forêt du concepteur sonore et compositeur James Bulley). Mêlant aux nappes de synthétiseurs des grooves savamment déstructurés, des boucles éthérées de saxophone, la harpe rêveuse de Maria Osuchowska ainsi que la guitare de Tomas Kaspar (et sur un titre de son frère Tom !), Laura Misch développe un univers sonore immersif à la fois élégiaque, mélancolique et insidieusement inquiétant, en totale osmose avec un discours poétique subtilement militant invitant à une forme de connexion et de réconciliation avec notre environnement.
Par la grâce ambiguë de sa voix et le raffinement de ses mélodies qui font lien entre les structures secrètes de l’inconscient et les rythmes anonymes de la nature, Laura Misch impose un univers d’une puissance d’incarnation étonnante sous ses allures légères et sophistiquées. L’acte de naissance d’une autrice majeure de la nouvelle scène pop britannique !
