Le vénérable groupe touareg sort un nouvel album : toujours dans le désert, avec une touche country.

La réédition en 2022 des deux premiers albums de Tinariwen a permis de rappeler ce qu’on savait déjà : ce groupe ne change pas. Ou pas vraiment. Au début des années 2000, Tinariwen était révélé au public occidental avec des chansons du Sahara hypnotiques, jouées sur des guitares électriques de fortune et ancrées dans la tradition tamasheq (la culture touarègue) et la musique d’Afrique de l’Ouest (sous l’influence notamment du Malien Ali Farka Touré). Au fil des années, ils ont enchaîné les disques et les concerts dans le monde entier, sans jamais rien rien changer à leur musique (ou presque). Parce qu’ils ne le voulaient pas, ou peut-être tout simplement en étaient-ils incapables. Comme tous les musiciens traditionnels du monde entier, Tinariwen joue et creuse son répertoire sans forcément chercher à évoluer ou innover. Depuis le début, Tinariwen chante toujours en tamasheq, enregistre souvent dans le désert, ne fait pas de reprises, porte sur scène les costumes traditionnels et retourne au pays dès la tournée mondiale terminée. Tinariwen a du succès en Amérique, mais il ne donne pas de titre anglais à ses albums. Pas de concession, pas de compromis. Comme un artisan reconnu dans sa spécialité, Tinariwen ne fait que du Tinariwen. Quand la recette est bonne, pourquoi la changer ? Cette façon de faire devient presque politique : une forme de refus de la croissance, d’injonction à l’innovation, des règles d’un monde qui va trop vite tout le temps.

Pourtant, Tinariwen n’a pas toujours sonné comme le groupe de blues du désert qu’on connaît et qu’on aime depuis vingt ans. Formé dans les années 80, le groupe avait commencé par exister localement, en enregistrant des cassettes sur lesquelles on entendait moins les guitares que du synthé, de la boîte à rythme et des chansons plutôt pop (ou presque). La publication récente de l’album Kel Tinariwen, à l’origine sorti en cassette en 1992, a permis de découvrir cette facette presque préhistorique du groupe. Lors de ses tout premiers concerts en dehors de l’Afrique en 1999, le groupe s’appelait Azawad et il avait encore ses synthés sur scène.

Depuis les années 2000, Tinariwen a trouvé son style, façonné avec l’aide de ses producteurs. Et c’est toujours aux autres, producteurs et musiciens fans, d’interpréter la musique du groupe pour la faire évoluer, légèrement. Une petite touche reggae ou stoner par ici, un invité ou un producteur de marque par là, plus ou moins d’acoustique ou d’électricité selon les albums. Comme le désert qui l’a vu naître, le style du groupe reste inchangé, minéral et monolithique, au moins en apparence. Ce sont les visiteurs, musiciens invités et producteurs, qui l’éclairent sous un nouveau jour et y impriment leur marque. Le nouvel album du groupe, Amatssou, apporte une nouvelle illustration de ce changement dans la continuité (comme disait Pompidou lors de sa campagne présidentielle en 1969). L’album aurait dû être enregistré à Nashville dans le studio de Jack White, qui aurait invité ses copains musiciens du coin et confié la production à Daniel Lanois. Pour cause de pandémie, le groupe n’a pas pu faire le voyage. Il a enregistré les bases de l’album dans le Sahara algérien, puis les Américains ont apporté la touche country à distance : du banjo ici et là, des violons et de la pedal-steel ailleurs, la douce production folk de Lanois... Pour autant, Amatssou n’est pas un album country. C’est juste un nouvel album de Tinariwen, pareil aux précédents et poussé par un vent d’ouest.