Dukas fut l'un des grands "oubliés" du Prix de Rome, qu'il rata trois fois, alors que de nos jours personne ne connaît plus les heureux élus des années 1886, 87 et 88 ; pourtant ses ouvrages de candidature sont de vrais bijoux ! A découvrir aux côtés d'autres belles nouveautés

1886, 1887, 1888 : trois années de suite, Paul Dukas se brûlera les doigts à l’aventure du Prix de Rome, ne réussissant qu’à décrocher un Second prix en 1888 avec la cantate Velléda. L’année suivante, il tentait sa chance avec Sémélé, mais ne reçut pas même un lot de consolation ; les deux cantates sont ici données dans leur intégralité. Ironie de l’Histoire, où l’on voit que bien souvent les doctes académies se trompent lourdement sur le cours des choses. Car qui se souvient encore des Premiers Prix de cette époque, Gedalge ou Erlanger par exemple ? Ce tout beau tout neuf enregistrement d'Hervé Niquet à la tête du Philharmonique de Bruxelles nous propose également les chœurs écrits pour le « premier tour » du concours, ainsi que l’ouverture Polyeucte qui correspond, sujet y compris, à ce qu’aurait dû être son envoi Rome s’il avait remporté le prix. Presque une mini-symphonie dans laquelle se trouve déjà le grand Dukas. Et tout aussi grande est la Sonate pour piano du même Dukas, ici dans l'interprétation quasi-historique (1970, quand même...) de la grande dame du piano français qu'est Françoise Thinat, sans doute la plus aboutie et la plus intense de toutes les interprétations dorénavant disponible. Le CD offre aussi une grande rareté, la Sonate de Jean Barraqué, un compositeur qui semble avoir été rayé de la surface de la Terre musicale. Cette Sonate, écrite à l’âge de vingt-quatre ans et plus ou moins contemporaine de la Deuxième Sonate de Boulez, déploie un langage certes sériel mais dans lequel l’émotion, quasi-romantique, reste toujours présente ; les séries de Baraqué, d’ailleurs, « évoluent » selon un système qu’il appelle série proliférante, une sorte d’évolution continuelle de la série selon son contenu organique, selon les tensions qui s’y font et s’y défont. La vision qu'offre Thinat de la Sonate de Barraqué représente tout bonnement la voix de son maître puisqu'elle la travailla en étroite collaboration avec le compositeur. Exemplaire.

Quatrième volume de l’excellente série dédiée à Alfredo Casella par le BBC Philharmonic et son aventureux chef Gianandrea Noseda – un de ces chefs qui ne cherchent pas mordicus à nous imposer une n-ième version des Symphonies de Mahler ou de Bruckner, ouf ! Dans ce quatrième volet, on découvrira diverses partitions aussi rares que magiques, à commencer par les Cinq fragments tirés du ballet Le Couvent sur l’eau, une « comédie chorégraphique » de 1912 empreinte de certaines influences franco-russes alors en vogue à Paris, où séjournait alors Casella. De retour à Rome au début de la Première Guerre, le compositeur rendit hommage aux morts sur le champ de bataille avec l’Élégie héroïque, qui crie avec horreur et tristesse la détresse devant le massacre qui ne faisait que commencer. Enfin, Noseda nous propose la Première Symphonie de 1906, que Casella considérait lui-même comme légèrement « juvénile » ; erreur, monsieur le compositeur : oui, l’influence à la russe (Rachmaninov plutôt que Stravinski, d’ailleurs) s’y fait entendre, ainsi sans doute que la griffe de Franck, mais déjà dans un langage purement casellien. Et décidément, les œuvre plus rares ont le vent en poupe ces derniers temps, pour preuve ce nouvel enregistrement de la musique de chambre de Max Bruch dont, hélas, on ne connaît presque plus, de nos jours, que son archi-rebattu Premier Concerto pour violon – ce qui avait le don d’exaspérer le compositeur lui-même à qui tous les violonistes en herbe voulaient mordicus le jouer. Voici donc, en plat de résistance, les Huit pièces pour clarinette, alto et piano de 1910 – ouvrage de l’ultime maturité, dans lequel Reger poursuit sans fléchir sa ligne habituelle : celle du XIXe siècle, celle de Schumann et de Brahms. Pas même Wagner ou Liszt, et encore moins ses contemporains dont Schönberg, Mahler qui a déjà presque tout écrit, et on ne vous parle pas de Webern ou Stravinski ou Strauss. Oui, Bruch revendique haut et fort son attachement à la mélodie, à l’harmonie, à l’architecture romantique et ces huit petites perles en sont le plus éclatant exemple. En complément de programme, on pourra entendre, sous les doigts de l’exemplaire et impeccable Trio Apollon, une adaptation de Kol Nidrei pour ces mêmes forces instrumentales.

Françoise Thinat, © Jean-Baptiste Millot

On ne peut vraiment pas dire que les compositeurs maltais sont foison ; saluons donc la belle nouveauté signée de la Kölner Akademie, qui a ressuscité des ouvrages de Girolamo Abos (1715 – 1760), un contemporain de Gluck qui vécut le plus clair de sa carrière à Naples. L’on ne s’étonnera pas que son style trahisse l’évidente influence de ce grand centre musical européen du XVIIIe siècle, transmise par ses maîtres Leonardo Leo et Francesco Durante. Outre une douzaine d’opéras, on lui doit une belle collection d’œuvres sacrées, écrites pour la plupart après 1758 – son ultime maturité donc puisqu’il devait s’éteindre deux ans plus tard. Voilà un fort digne compositeur à découvrir. Plus tôt en ce XVIIIe siècle, les arrangements d’airs d’opéras pour divers instruments, à l’usage des musiciens domestiques, sont foison. En 1717, l’éditeur londonien Walsh publie un recueil dans lequel figurent, entre autres, de telles adaptations d’opéras de Haendel, dont quelques-unes ont ici été reprises par l’ensemble L’Ornamento. Adaptations encore, d’œuvres instrumentales initialement destinées à tel ou tel effectif, que l’on transpose et modifie pour les confier à ce dont on dispose à l’instant présent ! Bach lui-même l’a fait avec des concertos de Vivaldi, c’est dire si le principe a depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse. L’effectif variable de L’Ornamento lui permet de nous offrir des partitions aux instrumentations les plus variées, même si la flûte à bec trône en première place, en particulier dans les arrangements des airs de Haendel, dont les solos sont tous transcrits pour ce digne instrument. Vous pourrez assister à un concert « familial », « domestique », comme si vous étiez en 1720 – les virtuoses de L’Ornamento jouent d'ailleurs, sans aucun doute possible, bien mieux que les amateurs de l’époque...

À l’aube du XXe siècle, le label Naive a décidé de sortir du sommeil quelque 450 œuvres de Vivaldi conservées à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Turin – œuvres dont bon nombre n’avaient guère eu les honneurs discographiques. Cette étonnante collection est en fait la bibliothèque personnelle manuscrite de Vivaldi, et surtout la plus grande collection de partitions ayant appartenu à un compositeur du XVIIIe siècle qui soit parvenue jusqu’à nos jours. Les trente-neuf concertos pour basson de Vivaldi constituent le plus vaste corpus d’œuvres consacrées à ce noble instrument. À l’évidence, la créativité vivaldienne fut grandement stimulée par la phénoménale souplesse et la sonorité nostalgique du basson, qui s’est toujours remarquablement bien prêtée à « imiter » la voix humaine. Il faut d’ailleurs souligner que Vivaldi, pourtant violoniste, fut toujours très attiré par les instruments à tessiture grave, de sorte qu’en dehors de sa production considérable d’œuvres dédiées à son propre instrument, c’est pour le basson et le violoncelle qu’il composa le plus grand nombre d’ouvrages. C’est le bassoniste italien Sergio Azzolini qui nous offre ces six concertos, quatrième volet d’une intégrale publiée par Naive. Malgré l’unité sonore, l’invention de Vivaldi permet que l’on ne s’ennuie pas un seul instant ; chapeau basson.