Teodor Currentzis et Musicaeterna décape Les Noces de Figaro ! Ecoutez dès à présent en avant-première sur Qobuz.

Il existe quelque deux cent enregistrements des Noces de Figaro de Mozart ; ainsi faut-il une sérieuse dose de courage, voire d’obstination, pour en lancer une nouvelle, en particulier avec des chanteurs inconnus, un chef inconnu, et un orchestre basé dans une ville inconnue. Qu’a donc cette version de si spécial qu’elle ait animé Sony à signer avec chef et orchestre un contrat d’exclusivité à long terme ? Le chef en question : Teodor Currentzis, l’orchestre en question : MusicAeterna, la ville en question : Perm, à 1500 kilomètres à l’est de Moscou, dans les marches de l’Oural. C’est dans cette ville improbable, connue quelques temps sous le nom de Molotov, un centre industriel et universitaire, que le gouverneur de l’état a décidé de miser sur la culture pour développer la visibilité de la région et de la cité. Pari réussi, mille fois réussi, puisque ce premier enregistrement de la « trilogie Da Ponte », sous la houlette de Sony, a saisi la planète musicale urbi et orbi. Qu’a-t-il donc de si spécial qu’il puisse détrôner, ou tout du moins égaler, les enregistrements « mythiques » les plus fameux des cinquante dernières années ?

Plusieurs aspects. Currentzis a décidé de retourner vers le texte de Mozart – ce que les baroqueux ont déjà fait, avec divers bonheurs –, vers bon nombre de méthodes d’exécution de l’époque (peu de vibrato, récitatifs confiés au forte-piano) mais aussi d’insérer le forte-piano dans la texture orchestrale comme Mozart le faisait souvent lui-même, de permettre aux chanteurs de développer des ornementations personnelles, d’exiger des musiciens une palette dynamique autrement plus ample que ce qui se fait d’habitude, de se défaire des traditions héritées du XIXe et du début du XXe siècle et ses exécutions toujours plus « philharmoniques », destinées à des salles toujours plus immenses, avec des gosiers toujours plus tendus vers l’ampleur sonore… Autrement dit, il a fait œuvre de grand nettoyage, en intégrant une partie des enseignements de la musicologie moderne dont il a toutefois repoussé l’aspect dogmatique.

Ajoutons à cela que Currentiz n’hésite pas à rajouter quelques éléments sonores non-écrits : le forte-piano à l’orchestre de bout en bout (discret mais présent), ainsi que déjà mentionné, quelques accords de luth ou de guitare judicieusement rajoutés à certaines attaques de pizzicato afin de leur donner plus de « mordant » et plus de résonance à la fois, ainsi même que la vielle à roue dans la scène villageoise ! Il résulte de tout cela un enregistrement phénoménalement vigoureux, vivant, impérieux, irrésistible de jeunesse et de verdeur, dans une perfection technique assez impressionnante. Il faut dire que MusicAeterna travaille pratiquement comme en séminaire, sans compter les heures, une sorte de communauté musicale totale d’une exigence de tous les instants. Gageons que la bonne ville de Perm, qui fut pendant un temps interdite aux étrangers pour protéger son industrie d’armement, deviendra bientôt un nouveau Salzbourg sous l’impulsion de sa vie culturelle !

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