Lorsqu'il débarqua à Mannheim chez les Weber, le jeune Mozart fut tout de suite saisi par la beauté de l'une des filles de la maison, Aloysia. Puis d'une autre, Josepha. Puis, les deux premières n'ayant pas dit ja, une troisième qui devint son épouse, Constance. Pour les trois, Mozart écrivit des œuvres en tout genre - dont, quand même, le rôle de la Reine de la nuit, rien que ça - que la soprano Sabine Devieilhe et l'Ensemble Pygmalion ont eu l'originale idée de rassembler en un CD. Ces petits bijoux, dont la plupart ne sont pas bien souvent donnés, méritent pleinement que l'on s'y penche. Mozart encore, point du côté des sœurettes Weber mais plutôt de celui des héroïnes de délire, de divagation, de rage, qui abondent dans ses opéras : voilà ce qu'a choisi d'illustrer la soprano-star Dorothea Röschmann. Oh, il ne s’agit pas nécessairement de rages musicalement soulignées, bien au contraire : des rages retenues, alternant entre amour et frustration, entre désir et répulsion. Donna Elvira ou La comtesse bafouées, Vitellia ou Ilia blessées, chantent ces états d’âme dans des phrases d’une suave beauté même si parfois, leur plainte se tourne finalement en un délire de vocalises. Quelques-unes des plus sublimes arias de Mozart...

Haendel écrivit Partenope en 1730 : une peinture d'un monde où alternent l’humour, la tristesse, le ridicule, la pitié, le chagrin et la réconciliation. C’est là l’une de ses tout meilleures partitions pour la scène, avec une quantité inhabituelle d’airs variés et souvent concis. C’est aussi l’une de ses analyses les plus pénétrantes des rapports entre amis, rivaux et ennemis confrontés aux épreuves de l’amour. Et toute cette splendeur nous est chantée par un superbe plateau, avec en tête Philippe Jarousky, Karina Gauvin et John Mark Ainsley, soutenus par l’ensemble Il Pomo d’Oro dont on connaît l’excellence dans ce répertoire. Et comme si un Haendel n'arrivait jamais seul, cette même semaine paraissait le nouvel album de la stupéfiante soprano russe Julia Lezhevna, avec des airs virtuosissimes d’opéras, d’oratorios et autres ouvrages sacrés, conçus par le jeune maître entre 1707 et 1710. On y découvre un style où se mêlent le fondement technique allemand, avec son art du contrepoint, et la liberté mélodique italienne apprise auprès des grands aînés qu’étaient Alessandro Scarlatti et Archangelo Corelli, Corelli dont on pense qu’il fut sans doute le premier soliste à jouer la superbe partie de violon solo obligée dans « Per dar pregio all’amor mio » de l’opéra Rodrigo. La jeune carrière de Julia Lezhevna (* 1989) l’a déjà menée sur bon nombre des plus prestigieuses scènes mondiales, à commencer par Salzbourg, Berlin, Vienne, Paris, Amsterdam, et les téléspectateurs français se souviennent sans doute de son triomphe lors des « Victoires de la musique classique » cuvée 2012.

Rencontre hélas imaginaire entre Villa-Lobos et Piazzola

Ce fut l’été indien pour Vladimir Horowitz, qui en ce 26 octobre 1986 accusait rien moins 83 printemps : après mille retraits de la scène, il revenait pour un dernier tour du monde qui le mènerait à Amsterdam, Berlin, Milan, Hambourg, Paris, Tokyo, Moscou, Leningrad, ainsi bien évidemment aux Etats-Unis. Ce concert à Chicago, le trente-septième de sa longue carrière, fut diffusé en direct sur une radio locale, puis… oublié dans les archives de la station. Ce n’est qu’en 2013 que les bandes refirent surface, et miracle, les voici ! Les maniérismes, les diableries, les évocations poétiques, tout ce qui fait Horowitz sont bel et bien là, et si l’âge lui fait faire quelques fausses notes (plutôt rares, quand même), la musicalité et la magie ne pourront que ravir ses aficionados y compris les plus exigeants. En complément de programme, l’album propose deux interviews du maître, l’une de 1974, l’autre enregistrée le jour précédant le concert de 1986 qui nous est ici donné en intégralité.

Par contre, c'est l'illustration des premières années de la jeune carrière du protéen pianiste allemand Herbert Schuch (* 1979) qui ne se laisse vraiment pas enfermer dans des spécialisations. Le présent coffret contient rien moins que huit CD, des enregistrements réalisés entre 2005 et 2012, pour un trajet musical des plus impressionnants, puisqu’aux côtés de Schubert (trois sonates, deux grandes fantaisies, des danses allemandes) et de Schumann (Kreisleriana, Papillons et maintes autres grandes œuvres), il nous propose Ravel avec les Miroirs et Gaspard de la nuit, Zemlinsky et Janáček, ainsi que bon nombre d’œuvres plus récentes de Lachenmann, Holliger, Ullmann. Un pianiste impressionnant et protéiforme donc, à la technique implacable et aux choix assurément assurés. Et si la scène française ne semble guère le connaître, Herbert Schuch se produit constamment avec les grands orchestres outre-Rhin et dans les salles les plus prestigieuses ; peut-être serait-il temps qu’il fît également son apparition de ce côté-ci de la ligne bleue des Vosges ? Et l'on fermera cette semaine avec la bien française violoncelliste Anne Gastinel qui explore pour nous les Amériques en compagnie des violoncellistes de l’Orchestre National de France et la soprano Sandrine Piau. Les Amériques en question se « limitent » au Brésil de Villa-Lobos et à l’Argentine d’Astor Piazzola, ce qui représente quand même un territoire équivalent à quinze fois la France… De Villa-Lobos, tout le monde connaît la célébrissime Cinquième Bachianas Brasileiras conçue pour huit violoncelles et soprano – c’est ici qu’intervient Sandrine Piau – ; on connaît moins la Première de ces mêmes Bachianas, elle aussi écrite pour un orchestre de violoncelles. Quant aux pièces d’Astor Piazzola, elles ont été transcrites pour l’ensemble. Anne Gastinel pend résolument la tête de ce superbe orchestre dans l’orchestre.