C'est certes un des marronniers de la rentrée, mais ce sont des morts qui passent souvent inaperçues, car elles surviennent au cœur de l'été, pendant les vacances où l'on se tient volontairement désinformé de tout. La grande faucheuse elle, n'a pas pris de vacances, car on lui doit plusieurs disparitions notables. Tout a commencé, si j'ose dire, par la disparition d'un musicien discret et fort peu médiatisé, le chef-d'orchestre viennois Julius Rudel (ci-contre), le 26 juin. Ne l'oublions pas, car il nous laisse de fameux enregistrements d'opéras, notamment avec Beverly Sills. Il avait fui le nazisme en émigrant aux Etats-Unis où il devint répétiteur au New York City Opera avant de diriger son premier ouvrage, Le Baron tzigane de Johann Strauss. En devenant, pendant plus de vingt ans, le directeur de cette institution, il atteint rapidement une grande renommée en dirigeant un énorme répertoire de Monteverdi à Janacek, avec une collaboration durable très remarquée avec la soprano américaine Beverly Sills dans des opéras de Donizetti et de Verdi, dont le disque nous laisse la trace avec des célèbres versions de I Puritani, de Anna Bolena et de Rigoletto. On lui doit également un Mefistofele de Boïto avec Caballé et Domingo, une Cendrillon de Massenet avec Frederica von Stade et Nicolaï Gedda ou encore, au regard de la philologie d'aujourd'hui, un exotique Giulio Cesare de Handel avec Beverly Sills et Maureen Forrester. Julius Rudel était donc recherché comme chef d'opéra et c'est à ce titre qu'on a pu l'applaudir en Europe, et notamment en France, tant au Palais Garnier en 1973 qu'au Festival d'Aix-en-Provence, en 1977, où il dirigera Roberto Devereux de son cher Donizetti avec Montserrat Caballé et José Carreras.

Le 13 juillet, ce fut ensuite le tour de Lorin Maazel d'apparaître dans cette danse macabre, un chef qui fut certes controversé dans la dernière partie de sa carrière, à cause sans doute d'une certaine routine dans ses interprétations, mais qui fut un enfant prodige et un génie précoce de la direction d'orchestre dans les années cinquante et soixante. Chéri du public, choyé des marques de disques (on ne disait pas encore "majors"), il laisse un témoignage discographique non négligeable avec des enregistrements restés célèbres comme les deux opéras de Ravel, L'Enfant et les sortilèges et L'heure espagnole, enregistrés à Paris, sa ville natale, en 1960 pour le premier et cinq ans plus tard pour le second. A signaler aussi sa très belle intégrale du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev avec un étincelant Orchestre de Cleveland, de très nombreux enregistrements d'opéras, Puccini, Il Trittico, La Fanciulla del West ou Madama Butterfly, un excellent Luisa Miller de Verdi. Ses enregistrements des Symphonies de Sibelius ont durablement marqué les esprits, de même qu'une très belle Symphonie lyrique de Zemlinsky. Vous trouverez sur votre QOBUZ un très grand nombre d'enregistrements de ce grand chef qui fût au sommet de son art dans les années soixante et soixante-dix.

La mort attendait l'immense Carlo Bergonzi le 25 juillet. Il venait tout juste de fêter ses 90 ans et DECCA lui offrait à cette occasion un splendide coffret consacré à son art du chant unique. Carlo Bergonzi c'était l'incarnation du chant verdien dans toute sa splendeur. Né dans cette Emilie-Romagne qui avait déjà vu naître Giuseppe Verdi et doté d'une technique à toute épreuve, Bergonzi a chanté très longuement avec un souffle, une vaillance, une ligne, un style admirables. On reconnait entre mille son timbre ensoleillé et son typique, et si savoureux, accent parmesan.

Partenaire des plus grands, Maria Callas, Renata Scotto, Joan Sutherland, Anna Moffo, Leontyne Price, Grace Bumbry, Shirley Verrett, Marylin Horne, Dietrich-Fischer Dieskau, Robert Merrill, Ezio Flagello, le ténor italien reste avant tout associé à Giuseppe Verdi, mais il a chanté un vaste répertoire italien sur de très nombreuses scènes du monde, d'abord dans toute l'Italie avec des débuts très remarqués à la Scala de Milan en 1953, puis, c'est l'Amérique qui l'appelle, spécialement le Metropolitan Opera de New York qui l'adorait (il s'y produit plus de 300 fois), mais aussi Chicago et Buenos Aires. En Europe, on l'applaudit à Londres, à l'Opéra de Vienne mais... jamais à l'Opéra de Paris.

Débutant à 23 ans comme baryton (sans doute la clef de sa maîtrise et de sa longévité), il avait abordé la voix de ténor en 1951, à l'âge de 27 ans. Carlo Bergonzi reste un des plus grands chanteurs, et un des plus grands stylistes, du XXe siècle. Par bonheur, une importante discographie permet de perpétuer son chant pour les générations futures. Ses nombreux enregistrements comptent parmi les meilleurs et sont dirigés par les plus grands chefs-d'orchestre de son époque. Faut-il en dresser la liste ? Parmi les indispensables il faut en tout cas connaître Madame Butterfly et La Bohème (Puccini), Aïda, Luisa Miller, Macbeth, Don Carlo, Il Trovatore et La Traviata (Verdi), Cavalleria Rusticana (Mascagni) et plusieurs disques de récitals.

Le 7 août disparaissait la soprano coloratura néerlandaise, Cristina Deutekom qui commença sa carrière dans le rôle de la Reine de la nuit dans la Flûte enchantée de Mozart (qu'elle a enregistré sous la direction de Sir Georg Solti). Sa voix haut-perchée possédait un ambitus qui lui a permis d'aborder d'autres rôles mozartiens et de chanter aussi dans de nombreux opéras de Giuseppe Verdi comme I Lombardi et Attila, mais elle a su également incarner Lady Macbeth (Macbeth) ou Abigaille (Nabucco). Christina Deutekom a chanté avec les plus grands ténors de son époque, Franco Corelli, Luciano Pavarotti, Placido Domingo, José Carreras, Alfredo Kraus, Carlo Bergonzi et Nicolaï Gedda. Elle mit fin à sa carrière en 1987, à la suite de problèmes cardiaques. On l'entendit cependant une dernière fois en public, en 1996, au Concertegebouw d'Amsterdam, lors d'une fête de l'opéra au cours de laquelle elle chanta le Boléro des Vêpres siciliennes de Verdi et l'air d'Elsa de Paganini, l'opérette de Franz Lehar.

Le 13 août, c'est le chef-d'orchestre Frans Brüggen qui tirait sa révérence. C'est un instrument méconnu et mal aimé qui l'avait d'abord fait connaître du grand public, la flûte à bec, dont il exhuma le répertoire avec une extraordinaire virtuosité. En 1981, il fonde l'Orchestre du XVIIIe siècle avec lequel il va sillonner l'Europe et enregistrer toute une séries de disques qui prendront rapidement valeur de référence dans le monde sans cesse grandissant de la musique dite "historiquement renseignée", ces "baroqueux" qui ont fait passer plusieurs générations de mélomanes du sourire condescendant à l'admiration pure et simple. Les Symphonies de Mozart, celles de Haydn, puis de Beethoven et de Schubert prendront sous sa baguette des sonorités et une vivacité nouvelles. Frans Brüggen s'est également beaucoup intéressé à la musique de Rameau dont il a enregistré de fort belles suites instrumentales rendant parfaitement justice à l'esprit de la danse française. Il laisse aussi des enregistrements marquants d'oeuvres de Bach comme la Passion selon St-Jean ou de la Messe en si mineur.

L'été 2014 s'achève donc dans le souvenir et dans l'écoute de ces musiciens disparus, mais leur art reste bien vivant et vous trouverez facilement leurs enregistrements sur votre QOBUZ pour conserver leur présence parmi nous.

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