L’inclassable chanteuse belge Melanie De Biasio s’interroge sur son identité sur son nouvel album « Il Viaggio », un carnet de route autofictionnel.

Depuis qu’elle s’est révélée au milieu des années 2000 avec un premier disque, A Stomach Is Burning, classé dans la catégorie “jazz” faute de pouvoir le rattacher précisément à un genre, Melanie De Biasio cultive en solitaire une vraie différence avec un mélange d’humilité et de superbe qui ne peut que susciter l’admiration. Prenant ses distances avec le mythe de la “chanteuse de jazz”, elle inscrit plutôt son geste dans l’ombre portée de quelques artistes marginaux ayant cherché leur voie dans un au-delà des genres (de Mark Hollis à Jeanne Lee en passant par Patty Waters).

La chanteuse belge, au fil d’albums et EP aussi rares que précieux (No Deal en 2013, Blackened Cities en 2016, Lilies en 2017), n’a cessé d’affiner la singularité d’un univers sonore féerique à la fois onirique et sensualiste, développant ses sortilèges aux confins du post-jazz, du rock alternatif, de l’ambient et de la New Music.

Elle franchit aujourd’hui un cap en publiant, six ans après Lilies, ce Il Viaggio dont les dimensions tout à la fois intimes, conceptuelles et expérimentales n’ont sans doute jamais été à ce point affirmées et assumées. Né de l’invitation en 2021 du festival belge pluridisciplinaire Europalia pour participer à son édition centrée sur les thèmes du train et de l’immigration, Il Viaggio peut s’entendre comme une sorte de carnet de route autofictionnel dans lequel Mélanie De Biasio interroge la notion d’identité en remontant aux origines italiennes de son père. Partie s’installer dans le petit village des Dolomites dont sa famille est originaire afin d’”éprouver le déracinement” dont elle est le produit, la chanteuse a profité de cette retraite spirituelle et affective pour composer une part essentielle de l’album.

Elle s’est musée en acousticienne et a enregistré les sons de la nature et les rumeurs du monde environnant dont de nombreuses traces se retrouvent dans les paysages sonores proprement “italiens” du disque, élaborés en compagnie de son fidèle compagnon, le producteur Pascal Paulus (Il Vento, Mi Ricardo Di Te, Chiesa…). La suite de l’album, conçue en étroite collaboration avec le musicien et producteur David Baron, poursuit le périple du côté des Catskill Mountains dans l’Etat de New York, ouvrant l’album à d’autres perspectives tant sonores que compositionnelles (Lay Your Ear to the Rail, We Never Kneel to Pray, I’m Looking For, Now Is Narrow).

Au fil du disque, elle passe de l’italien à l’anglais, intégrant à la manière d’un John Hassell le timbre complexe de sa voix sensuelle et éthérée tout en feulements et chuchotements dans des compositions acousmatiques et cinématiques pulsés de grooves feutrés et entêtants (I’m Looking For). A d’autres moments, elle insinue une distanciation trouble dans des mélodies pop faussement naïves tour à tour élégiaques et mélancoliques pour les embarquer dans des dérives oniriques dignes de David Lynch (Now Is Narrow, Mi Ricordo Di Te)

Melanie De Biasio développe dans Il Viaggio un univers en apesanteur et comme “à fleur de peau”, à la fois abstrait et organique, plongeant au plus intime de son histoire et de sa psyché pour en ramener des bribes d’images sonores de portée universelle.