Pour fêter les 50 ans du hip-hop, Qobuz réunit les albums qui ont marqué son histoire. Des premiers pas discographiques de Kurtis Blow au sommet commercial de Three 6 Mafia en passant par les ténèbres de Mobb Deep ou le gangsta rap de N.W.A., voici un panorama du genre en trois parties, qui s’intéresse cette fois au nouveau millénaire.

50 Cent – Get Rich or Die Tryin’ (2003)

50 Cent - 2003
50 Cent, Los Angeles, 2003. © KMazur/WireImage

Get Rich or Die Tryin’ est l’un des meilleurs exemples de l’entrée du rap dans les années 2000. 50 Cent y rayonne, semblant synthétiser le passé et le futur du hip-hop américain, fondu dans le son new-yorkais, dans les esthétiques gangsta, as du storytelling promotionnel et artistique, voix rauque, mobilisant avec aisance la radicalité et la sensualité crasse, et posant sur des instrumentaux tantôt électroniques, comme sur What Up Gangsta ou l’énorme succès In Da Club, tantôt ancrés dans une forme de tradition sur Many Men (Wish Death) ou le single

21 Questions. Ce deuxième album n’est pas uniquement un succès commercial, c’est un classique qui, vingt ans plus tard, sert encore de marqueur générationnel et de porte d’entrée vers une nouvelle ère musicale. Rien que ça.

Madvillain – Madvillainy (2004)

Le nom de MF DOOM s’écrit en lettres capitales. Celui de Madlib résonne parmi les plus grands producteurs des années 2000, toujours un peu décalé, explorateur de sonorités et de pays, as du sampling malaxé et respectueux. Lorsque ces deux esthètes s’associent enfin pour former le duo Madvillain et publient leur premier album, Madvillainy, ils posent les nouvelles bases d’un rap alternatif capable de conquérir un large public. Très cinématographique, abîmé et martial, il plonge l’auditeur dans des extraits de films enfouis, des rythmes venus d’Inde, d’Amérique du Sud ou de soul se réunissant dans un brouhaha ultra maîtrisé. Madvillainy demeure l’un des faits d’armes les plus marquants du label Stones Throw, garant d’un son, d’une scène, d’un état d’esprit.

Gucci Mane – Trap House (2005)

Avec Young Jeezy et T.I., Gucci Mane fait partie de la sainte trinité qui a fait éclore une bonne fois pour toutes la trap au milieu des années 2000. Comme ses compères, il a grandi à Atlanta, épicentre du genre qui régnera sur la musique mondiale sept ans après la sortie de son premier album, Trap House. Une pierre angulaire qui porte la marque de Zaytoven, certainement le producteur le plus emblématique du rap sudiste de l’époque, et qui n’y va pas par quatre chemins : électronique criante, beats assourdissants, nappes menaçantes et bourrées de cuivres synthétiques, snares qui claquent… Le rap de Gucci Mane se fait presque festif, influencé par les ambiances sudistes ostentatoires et le récit de la nouvelle richesse. Et donne le top départ d’un tsunami sonore.

J Dilla – Donuts (2006)

Slum Village -  J Dilla
Hip hop artist J Dilla of the group Slum Village photographed at the Key Club in 2000 in West Hollywood, California. (Photo by Gregory Bojorquez/Getty Images)

L’influence de J Dilla sur les producteurs des années 2000 ne se mesure pas au nombre de musiciens qui l’ont imité, mais plutôt à tous ceux qu’il a traumatisés par sa dextérité. Donuts est un chant du cygne, le dernier disque offert seulement trois jours avant que le producteur ne décède à l’âge de 32 ans. Les morceaux de soul, de funk, de rock des années 1970 sont découpés méticuleusement, réassemblés sur des beats pour certains composés sur un lit d’hôpital, et Galt MacDermot, les Jackson 5, 10cc, Jerry Butler et Frank Zappa deviennent instantanément hip-hop, comme par magie. Sorte de mixtape brute volontairement salie, Donuts est un manifeste sonore, un disque sensible auquel bien des beatmakers se réfèrent encore aujourd’hui, à raison.

Lil Wayne – Tha Carter III (2008)

Lil Wayne
Lil Wayne © DR

Lil Wayne est sans contestation possible l’un des rappeurs les plus importants des années 2000 et 2010, statut acquis avec sa série d’albums Tha Carter démarrée en 2004. Le troisième volet, paru en 2008, résonne comme le plus symbolique d’une démarche musicale alliant retentissement commercial et innovation. Avec le single A Milli, produit par Bangladesh, il a exporté son nom bien au-delà des frontières américaines, se positionnant comme le garant d’une trap mixée à la pop et à la provoc. Tha Carter III est cependant bien plus complexe : solaire sur Let the Beat Build, qui porte l’empreinte de Kanye West, mélancolique sur le morceau fleuve DontGetIt, agressif sur Phone Home… On aime s’y perdre pour mieux renouer avec les origines de la trap mondiale.

Kanye West - 808s and Heartbreak (2008)

Kanye West - 2005
Kanye West, VH1 Hip Hop Honors, New York City, 2005 © Jeff Kravitz/FilmMagic)

Quel album de Kanye West a eu le plus d’impact sur la musique américaine ? Excellente et insondable question. Ce qui est certain, c’est que 808s and Heartbreak fait partie de la short-list. La façon dont le rappeur et producteur de Chicago manie l’Auto-Tune pour lui conférer un supplément d’émotion, pour exprimer la douleur ressentie suite au décès de sa mère survenu en 2007, est cruciale. Sa musique est brute, en opposition avec celle déployée sur son précédent album, Graduation, qui faisait briller le rêve américain. Cette fois-ci, la tristesse se pare d’électronique, est propice à l’innovation symbolisée par des morceaux phares tels que Bad News, Paranoid, ou l’énorme single Heartless.

Nicki Minaj – Pink Friday (2010)

Nicki Minaj - 2010
NEW YORK - NOVEMBER 23: EXCLUSIVE COVERAGE Nicki Minaj attends MAC + Nicki Minaj launch of Pink Friday Lipstick at MAC Times Square on November 23, 2010 in New York City. (Photo by Jamie McCarthy/WireImage for MAC Cosmetics)

Le premier titre du premier album de Nicki Minaj s’intitule I’m the Best. Ça pose une intention. Avec Pink Friday, la rappeuse d’origine trinidadienne confirmait les espoirs placés en elle par des pontes nommés Kanye West ou Lil Wayne, se faisait à la fois très synthétique, totalement ancrée dans le son de l’époque, mais également sans fioritures. Ses couplets, déjà, sont limpides, agressifs, hérités de la rage de Lil’ Kim, de son art du défi, injectant des éléments pop évidents sur les refrains de titres tels que Right Thru Me ou Your Love, ouvrant la porte à une nouvelle génération de rappeuses vedettes qui se nommeront Cardi B ou Azelia Banks. Mais c’est par sa dureté, par son goût pour les TR-808 dégoulinantes que cet album rayonne, faisant date dans une ère tremplin pour le rap mondial.


Kendrick Lamar – Good Kid M.A.A.D. City (2012)

Kendrick Lamar
Kendrick Lamar - © Interscope Records

Good Kid M.A.A.D. City marque le début de l’ascension de Kendrick Lamar, qui s’apprête à devenir l’un des plus grands rappeurs de sa génération. Le deuxième épisode d’une discographie qui transcende les barrières musicales et sociales. Mais ce disque est aussi un lâcher-prise. Pas encore tout à fait désireux de se faire porte-parole, Kendrick Lamar livre ici un sans-faute à la fois exutoire, très technique et libérateur, soucieux de mettre l’accent sur les problèmes de son Compton natal, mais célébrant le rap et sa culture dans leur entièreté. Il est un tournant parce qu’il amorce l’éclosion d’une nouvelle génération d’artistes qui vont régner sur le genre pendant dix ans, faire du neuf avec un peu de vieux, et propulsant le hip-hop dans un nouvel âge d’or commercial.

Future – DS2 (2015)

Avec DS2, Future est intronisé en fer de lance de la trap dominante. Défaite partiellement de la rudesse qui en émane depuis dix ans, cette musique devient ici nonchalante, mais sait encore hurler sa rage, se faisant plus sophistiquée dans ses arrangements et ses productions signées pour la plupart, pour cet album, par le producteur majeur de son temps, Metro Boomin. Future change de stature, héritant du rôle de rappeur le plus influent de la décennie, posant de nouvelles bases sonores. Eloge de la détermination, de l’ascension capitaliste, DS2 est aussi un pamphlet ténébreux, comme en témoignent les titres Lil One ou F*ck Up Some Commas. Avec ses 19 morceaux au compteur, il est aussi le symbole des nouveaux modes de consommation de la musique basés sur le streaming.

XXXTentacion – 17 (2017)

XxxTentacion
XxxTentacion © Orange County Sheriff Office

Les années 2010 ont été marquées par l’explosion des scènes SoundCloud, qui ont vu des artistes indépendants innover dans les genres à dominante électronique, souvent dans des esthétiques lo-fi et écorchées. En 2017, le sulfureux XXXTentacion devient, pour le rap, l’illustration de cette tendance. Son premier album, 17, surprend par sa couleur mélancolique, résolument tourné vers ses nombreux fans, presque dédié à son public. Embrassant les sonorités pop, emo, le rappeur floridien enchaîne les histoires amoureuses, de suicide, raconte la lean et son influence sur sa vie, sur sa musique. Il est une sorte de manifeste pour une génération adolescente qui fera de lui une icône après son meurtre survenu en 2018, faisant prendre définitivement conscience à une nouvelle communauté d’amateurs de rap qu’aux Etats-Unis, cette musique est hantée par la mort.


Migos – Culture II (2018)

Voici l’avènement de la trap par excellence. Culture II de Migos est l’album qui marque l’apothéose du genre. Le trio originaire d’Atlanta, composé de Quavo, Offset et Takeoff, règne alors sur le rap mondial, pour une courte durée certes, mais indubitablement. Sur cet album, toutes les recettes sont convoquées, que ce soit dans les productions sèches et martiales, dans cette projection vers la musique taillée pour les clubs, et dans ses thèmes alliant revanche et agressivité, équipée de strasses et de dorures. Les Migos, en tant que groupe, ne seront plus jamais aussi percutants. Cet album marque aussi le clap de fin d’une domination sans partage de la trap sur les autres genres qui, à partir de 2019, commenceront à lui disputer les premières places.

Pop Smoke – Meet the Woo 2 (2020)

Après sa naissance à Chicago à la fin des années 2000, après avoir été récupérée et adaptée par les rappeurs londoniens et anglais au milieu des années 2010, la drill est de retour aux Etats-Unis en 2019, plus précisément à Brooklyn, où elle trouve de nouvelles façons de s’exprimer. Les poids lourds de ce nouveau mouvement se nomment Sheff G, 22Gz, Fivio Foreign, et surtout Pop Smoke. Ce dernier sort en 2020 sa seconde mixtape, Meet the Woo 2, exaltation de cette déferlante qui allie la dureté de la trap à des codes bien singuliers. Le rappeur incarne à jamais cette ère : il est assassiné douze jours plus tard, au moment où il fait entrer la drill dans des sphères mainstream, là où l’on n’aurait jamais cru l’entendre.