Pour fêter les 50 ans du hip-hop, Qobuz réunit les albums qui ont marqué son histoire. Des premiers pas discographiques de Kurtis Blow au sommet commercial de Three 6 Mafia en passant par les ténèbres de Mobb Deep ou le gangsta rap de N.W.A., voici un panorama du genre en trois parties, en commençant par les prémices des années 80 et le golden age.

Kurtis Blow – Kurtis Blow (1980)

Il fut un temps où le rap, prenant ses marques dans le paysage musical américain, s’inspirait ouvertement des genres voisins pour se créer une base sonore. Le premier album de Kurtis Blow en est l’illustration. Le rappeur originaire de Harlem prenait le funk et le disco comme socle pour faire transpirer les foules, mettant en exergue l’aspect fiévreux et lumineux de ce style que les Etats-Unis, New York en tête, se prenaient alors pleine face. Le titre The Breaks est certainement l’un des plus grands classiques du rap des années 1980, fêtard et irrévérencieux, mêlé au rock sur Taking Care of Business (tout simplement une reprise de Bachman-Turner Overdrive) ou la soul sirupeuse sur All I Want in This World (Is to Find That Girl). Une pierre angulaire.

Run-DMC – Raising Hell (1986)

De Raising Hell, troisième album de Run-DMC, le grand public se souvient surtout du duo avec le groupe de hard rock Aerosmith pour le morceau Walk This Way. Les amateurs de rap, eux, se rappellent de ce breakbeat hallucinant sur le titre d’introduction, Peter Piper, marquant à sa façon l’entrée du hip-hop dans une nouvelle ère sonore et technologique. La précision du rythme, du sample, en fait un moment important dans l’histoire du rap. Le trio new-yorkais produit par Russell Simmons et Rick Rubin régnait sur la concurrence, sapés en survêt Adidas, chaînes en or qui brillent, déjà dans une démarche mercantile assumée et transformée en intention artistique. Les flows de Rev Run et de DMC sublimaient les productions de Jam Master Jay, leur DJ mort en 2002 et considéré comme un pilier.

Beastie Boys – Licensed to Ill (1986)

Beastie Boys - 1994
Ad-Rock (Adam Horovitz), MCA (Adam Yauch) and Mike D (Mike Diamond), New York (NY), 1994 © Larry Busacca

Alors que le rap et le rock ne cessaient de flirter durant la première moitié des années 1980, les Beastie Boys vont les marier en basant leur esthétique sur le mélange des genres avec leur premier album Licensed to Ill. Archétype du son Def Jam, joignant leur passé punk aux techniques de production hip-hop, les trois larrons nommés Mike D, MCA et Ad-Rock pillent les influences hardcore de tous bords, échantillonnent Black Sabbath ou Led Zeppelin, et parviennent à réaliser un exploit, celui d’être n°1 des ventes dans tous les Etats-Unis avec un album de rap. Une première.

Eric B. & Rakim – Paid in Full (1987)

S’il fallait faire un classement des plus grands MC de l’histoire, Rakim pourrait bien figurer en première place. « Thinkin’ of a master plan / ‘Cause ain’t nothin’ but sweat inside my hand » demeure l’une des phrases les plus connues du rap américain, mise en bouche du morceau Paid in Full, qui donne son nom au premier album du duo complété par le producteur Eric B.. Le rappeur expose sa science consistant à pondre des textes virulents et criants de vérité sans tomber dans la vulgarité gratuite ou la provocation ostentatoire. Eric B. & Rakim incarnent un changement d’ère, de paradigme et d’esthétique pour le rap East Coast des années 1990. Et au-delà.

Public Enemy – It Takes A Nation of Millions to Hold Us Back (1988)

Public Enemy est un groupe à part dans l’histoire du rap américain. A son époque, il fut l’un des plus virulents, l’un des plus radicaux, tout en remportant un succès commercial et critique massif. Sur leur deuxième album, Chuck D et Flavor Flav entraient dans une nouvelle dimension populaire et polémique, armés d’un maniement des samples inédit, très inspiré de la fureur rock et des musiques électroniques naissantes. Don’t Believe the Hype, Bring the Noise, Rebel Without a Pause, Prophets of Rage… Leur titre sont des slogans ravageurs. Lorsque l’on pense à l’aspect contestataire du rap, c’est bien souvent ce groupe et cet album qui sont cités en exemple.

N.W.A. – Straight Outta Compton (1988)

NWA - MC Ren, DJ Yella, Eazy-E & Dr. Dre (1991)
MC Ren, DJ Yella, Eazy-E & Dr. Dre (NWA), 1991, New York (NY) © Al Pereira/Michael Ochs Archives

Pendant une décennie, New York a régné sur le rap américain. Mais à partir 1987, plusieurs noms vont venir disputer l’hégémonie : Ice-T, MC Hammer, Too $hort, mais surtout N.W.A., groupe sorti d’une banlieue sud de Los Angeles, Compton. Ses membres se nomment Ice Cube, Dr. Dre, Eazy-E, DJ Yella, Arabian Prince, Krazy Dee et MC Ren. Avec leur premier album Straight Outta Compton, ils popularisent le gangsta rap qu’ils ont contribué à créer, enchaînant les brûlot dirigés contre les forces de l’ordre sur Fuck Tha Police, la violence de leur environnement sur Gangsta Gangsta, et le trafic sur Dope Man. Censurés, combattus par l’establishment, les N.W.A. mèneront également des carrières solo marquantes, transformant leur formation d’origine en plaque tournante du rap West Coast.

De la Soul – 3 Feet High and Rising (1989)

De La Soul
Posdnous, Maseo and Trugoy The Dove (De La Soul), Harlem, 1993 © David Corio

A la fin des 80′s, alors que le gangsta rap fait rage et que les esthétiques hardcore infusent tout le hip-hop, De La Soul se place à contre-courant, fleurs et couleurs vives dehors, positivité et malice en étendard. Sous la houlette du producteur Prince Paul, les trois rappeurs Trugoy The Dove, Posdnuos et Maseo publient leur premier album et se font rapidement qualifier de « hippies » par une presse rock désireuse de classer les autres musiques selon ses propres critères. Pourtant, il serait insultant de les réduire à cette expression. 3 Feet High and Rising recèle un savoir-faire technique rare, une maîtrise du sampling et du collage audible sur des classiques tels que Me Myself and I, Say No Go ou Potholes in My Lawn.

A Tribe Called Quest – The Low End Theory (1991)

"A Tribe Called Quest' Portrait Session
Ali Shaheed Muhammad, Phife Dawg & Q-TIp (A Tribe Called Quest), New York (NY), 1993 © Al Pereira/Michael Ochs Archives

Dans la continuité de De La Soul, un autre groupe new-yorkais venait contrer les ténèbres ambiantes : A Tribe Called Quest. Mais la comparaison s’arrête là tant le duo composé de Q-Tip et Phife Dawg apportait sa singularité, dans leurs voix caractéristiques certes, mais aussi dans le traitement des batteries, dans ces échantillons suaves. A Tribe Called Quest, c’est l’art du contraste, illustré sur leur deuxième album The Low End Theory, emmené par les singles Check the Rhime et Scenario. Leur goût pour le storytelling, hérité des années 1980, les place en garants modernes d’une tradition rap encore aujourd’hui bien ancrée.