Entre l'été 1893 et le 17 août 1895, Claude Debussy écrit son unique opéra Pelléas et Mélisande, qu'il n'orchestrera pourtant qu’en 1902, une fois les représentations enfin annoncées. Chronique en trois feuilletons des avancées et ratés de la création de cette œuvre, qui, par son anticonformisme, allait déconcerter puis conquérir le public, faisant la gloire d’un compositeur jusque-là désargenté. Episode 1.

D’aucuns voient en Pelléas et Mélisande l’opéra marquant le début du XXe siècle ; en réalité, il marqua bien plus la fin du XIXe siècle, d’autant qu’il n’eût aucune descendance réelle, y compris chez Debussy : un crépuscule de dynastie donc, et point une aurore. XIXe siècle car l’œuvre, dans sa structure, son déroulement, sa partition même – hormis l’orchestration, réalisée au dernier moment, et les interludes exigés par les contingences de la mise en scène – était finie dès le 17 août 1895, et les premières esquisses lancées après que le compositeur a assisté à une représentation de la pièce de Maeterlinck en mai 1893. Le travail de composition dura à peine deux ans, puisque le 8 août 1893, Maeterlinck écrivait à Maurice de Régnier : « Veuillez dire à Monsieur Debussy que c’est de bien grand cœur que je lui donne toute autorisation nécessaire pour Pelléas et Mélisande ; et puisque vous approuvez ce qu’il a fait, je le remercie déjà de tout ce qu’il voudra faire. » Peu après, c’est la première mention de Pelléas dans une correspondance connue de Debussy, en l’occurrence le 27 août 93, une lettre de Chausson : « [Suite à votre indisposition passagère], j’espère que vous en êtes débarrassé maintenant et que vous pouvez recommencer à penser à Pelléas et Mélisande. », preuve que l’ouvrage était déjà sur le métier. Debussy répond à Chausson dans la foulée, le 3 septembre 1893 : « Et voici qu’a sonné pour moi l’heure de la trente et unième année ! Et je ne suis pas encore sûr de mon esthétique, et il y a des choses que je ne sais pas encore. […] Dernières nouvelles : C.A. Debussy : achève une scène de Pelléas et Mélisande, “Une Fontaine dans le parc”, pour laquelle il aimerait avoir l’avis de E.  Chausson. » Chausson prend sa plume dès le lendemain, et se réjouit de savoir Pelléas avancer, même s’il ne peut « pas en dire autant du Roi Arthus. Il me cause toujours beaucoup de malheurs. Et des malheurs renaissants. C’est toujours à refaire ; et cela finira-t-il jamais ? […] Etre très  “sûr de son esthétique” ; diable, c’est une grosse affaire. Vous vous plaignez de n’être pas fixé à 31 ans. Que dirai-je, moi qui n’ai plus 31 ans et suis ravagé d’incertitudes, de tâtonnements et d’inquiétudes ? » Eh oui : quand il commence Pelléas, Debussy est un jeune compositeur de 31 ans, à la tête d’un répertoire plutôt modeste, composé surtout de quelques mélodies, de pièces pour piano, de La Damoiselle élue (évident laboratoire pré-Pelléassien), sans compter d’innombrables tentatives en tout genre, avortées, et de quelques envois du prix de Rome qu’il préférait oublier.

Créez un compte gratuit pour continuer à lire