Se passer un disque de Kurt Vile pour la première fois est une expérience frustrante, notamment à la lecture des superlatifs qui vont suivre : soit tu fais partie du club, soit... bah, tu repasseras un autre jour. Faire partie d’un club ou d’une « cible », quoi de plus réducteur ? Et se prendre la porte au nez alors ? Il semblerait que le disque de ce natif de Philadelphie (tout comme ses trois prédécesseurs) ait été écrit pour une poignée d’êtres sur cette planète : ceux qui précisément tomberont à la renverse du songwriting franchement désarmé de « Baby’s Arms » et son « When I get sick about just about everyone / I hide in my baby’s arms » sans pour autant fermer les écoutilles lorsque se dévoilera le blues militaire et assertif de « Puppet to the Man ». Chaque chanson repose sur un gimmick autour duquel Kurt Vile tourne et se retourne à l’envi, ce qui a pour immanquable effet de figer le temps. Si, à une ou deux reprises, les morceaux restent dans les starting-blocks (« Runner Ups » et « Peeping Tomboy » en particulier), Kurt écrit les plus belles chansons du monde lorsqu’il apporte son flegme de fumeur de splif à des comptines déjà ravagées. Il pioche intelligemment dans une palette élargie de voix : celle du Lou Reed folkeux sur « Baby’s Arms », celle du garçon paumé qui parle dans sa barbe sur « On Tour » et sa spéciale, la « Thurston Moore en rut » sur « Puppet to The Man » et « Runner Ups » (comme sur « Hunchback », le premier single de son précédent album) où il entonne « Don’t know if you really came, but I feel dumb in asking / You should’ve been an actress you’re so domineering ». Le Kurt Vile d’hier était un prince marginal du lo-fi, alliance douce-amère d’une distorsion omniprésente et d’un songwriting léché. S’il emprunte autant à l’univers de Neil Young, mais aussi Dylan, Robert Pollard (Guided By Voices), Tom Petty et Springsteen, il se colle aujourd’hui tout près d’un Bradford Cox (Deerhunter, Atlas Sound) et ses compositions bizarres mais, hum, fichtrement réconfortantes. Tout romantique, mystique ou imaginatif soit-il, il n’en demeure pas moins constamment sur la brèche. L’atmosphère générale du disque est aussi étrange que familière. Chacun de ses mouvements semble viscéral, et la limite se pose là : il y a dans toute écoute quelque chose de trop général pour y déchiffrer des passions si intimes. Délicat à l’emploi car fâcheusement galvaudé, c’est en fin de compte le terme « authentique » qui revient avec insistance à propos de ce disque. Les morceaux plus psyché ne sont pas le prétexte à des déclamations mystico-droguées, tout comme il n’alourdit pas ses morceaux folk avec une soupe politique bidon. Les mots comme la musique : simples et directs. Des humeurs et fables de l’instant, à la sauce loser si possible, où la sensibilité, le détail, remplacent l’empirisme des faits : « I pack my suitcase with myself / but I’m already gone / Cleanse myself with vitamin health / But I’m already gone », chante-t-il, semi-léthargique, sur « Jesus Fever ». En fin de compte, il ne faut pas grand-chose pour faire partie du club.

Anthony Mansuy

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