À l'occasion de la parution de son premier album sous étiquette Archiv Produktion, nous publions cette courte interview du claveciniste Mahan Esfahani, consacré à son mentor Ralph Kirkpatrick...

Quelle est l’origine de votre passion pour Ralph Kirkpatrick ?

— Quand j’étais à l’université, un mentor me donna dès ma première semaine un livre sur les années de jeunesse de Kirkpatrick, une sorte d’anthologie des lettres adressées à ses parents dans les années trente (quand il étudiait en Europe) et de quelques souvenirs de sa jeunesse. Ça me parlait vraiment. Quelque chose chez Kirkpatrick, Américain provincial qui travailla dur et changea le monde musical, m’a frappé : il était conscient de ses bons et mauvais jours, de la qualité de son jeu ou non. Il y a quelque chose de si admirable dans cette autodiscipline. J’aurais vraiment aimé le connaître, parce que son esprit est avec moi tous les jours et m’encourage à faire mieux.

Qu’est-ce qui rendait Kirkpatrick si spécial ?

— Eh bien, Kirkpatrick fut parmi les premiers à se rendre compte que le jeu du clavecin réclamait une articulation et un phrasé intelligents, et sa réponse à l’instrument est étonnante. Quelques-uns considèrent que son jeu se tient plutôt dans une ligne conservatrice mais pour ma part je trouve qu’il joue avec une subtilité et un niveau technique tels qu’on peut dire qu’il ne « parle jamais bas » au public. Certains le jugent intimidant. Quant à moi, je constate qu’il m’apprend quelque chose à chaque fois que je l’écoute. Son intérêt pour la musique de son époque est également inspirant.

Naturellement, Kirkpatrick est célèbre pour avoir créé le catalogue de Scarlatti et sa biographie. Quoi de neuf depuis ses recherches ?

— Eh bien, quelques sonates de plus ont été découvertes dans différents manuscrits, entraînant une certaine interrogation (que je ne trouve pas convaincante) sur leur chronologie. Je suis encore en train d'étudier une thèse intéressante sur le sujet. Il y a aussi son travail précieux sur le reste de la production de Scarlatti en tant que compositeur pour la voix, qui est tout à fait significative. Je viens d’acheter le livre de Roberto Pagano sur le procès entre Scarlatti et son père, qui ne m’a pas encore été livré mais que je suis impatient de lire. Il a tout basé sur le travail de Kirkpatrick, qui fut, franchement, révolutionnaire. Nous lui devons tant !

Ralph Kirkpatrick était aussi un interprète de ses contemporains. Est-ce votre but maintenant de travailler avec eux et encourager la création de nouvelles œuvres ?

— Oui, absolument. C’est une longue route, mais nous sommes en train d’y arriver.

À part Ralph Kirkpatrick, qui devrait être entendu urgemment par la jeune génération de mélomanes ?

— Il y en a beaucoup à connaître depuis Wanda Landowska. Je suis un grand admirateur des enregistrements Bach et Monteverdi de Nadia Boulanger, ne serait-ce que par les qualités « immanentes » qu’ils dévoilent de la partition avec une telle intelligence musicale. Les enregistrements Bach d’Isolde Ahlgrimm chez Philips dans les années cinquante sont simplement stupéfiants et j’en reste bouche bée chaque fois que je les entends.

Propos recueillis par Hannah Krooz (© Qobuz / mai 2015)

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