Quelque chose de fascinant émane des derniers représentants du courant dubstep made in U.K. : cette capacité à décevoir en bien, pour citer la jolie expression suisse. Aujourd’hui, l’attitude générale des artistes comme Burial, James Blake, Magnetic Man, Mount Kimbie et Joker consiste à hausser les épaules et former une moue désolée : « Nous sommes les ambassadeurs d’un son qui s’est dilué dans le spleen. Un être nous manquera toujours et le futur est seulement à moitié prometteur ! » Déjà, il y a trois ans, Zomby sortait « Where Were You in 92 ». Ce disque purement nostalgique célébrait une dernière fois l’état d’esprit des rave parties désormais disparu. Déjà le regret. Et la suite a donné raison à cette mélancolie. Zomby qu’est-ce que c’est : des histoires sombres, une mise en scène electro de l’absence, un parfum général de crise, un son raide et effilé à l’extrême, un artwork en retrait. Un vrai antidote à ces productions bling bling et modeuses. Écouter ce disque, c’est dire qu’une autre musique, plus cérébrale et sensuelle, est possible. Si ça se trouve, c’est le dubstep qui a repris le message des Smiths il y a 25 ans : « Life is very long when you’re lonely... » En cela, le « Dedication » de Zomby est sans doute l’album le plus intéressant du genre, ex aequo avec le disque de James Blake. Mais autant le très esthétique James Blake a pour lui cette image de crooner digital, autant Zomby cultive l’anonymat. Avant, l’homme portait un masque de joker et ça occasionnait de l’effroi. Aujourd’hui, il opte pour celui du héros du comic book « V Pour Vendetta ». Une façon de dire que même le son dubstep a quelque chose à voir avec la fièvre qui gagne les rues de New York, Madrid, Athènes, Londres... Et cela fait sens : les nouveaux maîtres dubstep sont les seuls a avoir saisi le feeling 2011, et ses bouleversements au quatre coins du monde. Devoir de grisaille pour tous, retour dans une bulle, prime à la modestie. Pour bien parler de société et de politique, parlons sentiment et vie personnelle. Cet œuvre au noir a compris cela ? Court mais intense. Une impression d’album adapté à la réduction de l’espace à mesure que le temps s’accélère. En moyenne, la durée de chacun des 16 morceaux au tracklisting du disque n’excède pas les 3 minutes. Bien sûr, tout cela risque de décontenancer l’auditeur lambda. Difficile de ne pas penser que Zomby a écrit un teaser d’album au lieu d’un album. Si la confiance dans l’avenir semble avoir disparue, l’envie du soulèvement est encore au stade embryonnaire. Mine de rien, le disque de Zomby incarne à merveille cet entre-deux. Très mélodique pour une production dubstep, mais toujours trop sombre pour rentrer dans le mainstream. Pour cela, Zomby visite plusieurs paysages sonores tous cohérents : dance ralentie, beats techno comme passés au sanibroyeur, nappes synthétiques à la Kraftwerk... À l’arrivée, il se dégage de ce disque un sentiment addictif et pas du tout excluant tant il est l’un des rares cette année à avoir vraiment ramené la technologie à hauteur de l’humain. Cet album est actuel, comme le « Blue Lines » de Massive Attack (1991), le « Geoggadi » de Boards Of Canada (2002), le premier The XX (2009). Bien sûr « Dedication » sonne plus désincarné que les enregistrements cités, mais, voyez-vous, le monde est devenu plus flou, ces derniers temps.

Stringer Bell

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