Le pianiste Alexandre Tharaud s’installe avec ses amis à la Cité de la Musique le 8 février pour un cycle fou consacré à l’inclassable Erik Satie.

Dimanche 8 février, le pianiste Alexandre Tharaud réunit autour de lui plusieurs de ses amis pour rendre hommage à ce compositeur inclassable qui a côtoyé Picasso tout en étant fasciné par la Grèce antique, qui a composé aussi bien pour les musiciens classiques que pour le cabaret : Erik Satie.

A 11h00, Tharaud se produira aux côtés d’Éric Le Sage. Au menu de leur prestation : Cinéma (transcription Darius Milhaud), Aperçus désagréables, Trois Petites Pièces montées, Préludes flasques (pour un chien), La Belle Excentrique et Trois Morceaux en forme de poire. Satie, on le sait, avait le goût de la provocation. Dans ses Mémoires d’un amnésique, en parlant de ses Morceaux en forme de poire de 1903, il écrivait : « Tout le monde vous dira que je ne suis pas un musicien. C’est juste. Dès le début de ma carrière, je me suis, de suite, classé parmi les phonométrographes. Mes travaux sont de la pure phonométrique. »

Face aux provocations de Satie, il faut prendre le temps de les entendre dans toute leur portée. Car, comme l’avait bien compris John Cage, c’est en effet une façon inédite de mesurer le temps musical que Satie propose. Et les titres des différents mouvements des Morceaux en forme de poire suggèrent bien, eux aussi, qu’il y a là une nouvelle sorte de « phonométrie », jouant avec la répétition comme sans doute personne ne l’avait fait auparavant : le premier mouvement, Manière de commencement, est suivi par une Prolongation du même ; tandis que la Redite finale enchaîne sur un En plus… Cette musique répétitive avant la lettre doit beaucoup à l’univers des cafés-concerts, que Satie fréquentait assidûment à Montmartre, accompagnant parfois des chanteurs ou composant pour Paulette Darty, la reine de la valse lente.

A 14h00, changement de programme ! Je ne vous ferai pas une conférence : le titre de cette séance fait écho à cette phrase de Satie, qui figure au début de sa conférence de 1919 intitulée La Musique & les animaux : « N’étant pas orateur, je ne vous ferai pas une conférence - non plus qu’une causerie… » On trouve pourtant, dans les écrits de Satie, cette pensée : « Peu de personnes savent lire à haute voix : c’est un art, du reste. » Un art que François Morel, comédien de la troupe de Jérôme Deschamps, connu du grand public comme le Monsieur Morel des Deschiens, pratique à merveille. Satie écrivait encore : « S’il me répugne de dire tout haut ce que je pense tout bas, c’est uniquement parce que je n’ai pas la voix assez forte. » Sans forcer, Morel donne assurément voix à ce que Satie a su penser, entre lui et lui, comme nul autre…

Une heure plus tard, à 15h00, Alexandre Tharaud revient seul cette fois. Seul avec son piano… Satie a inventé un certain type d’humour en musique, qui passe notamment par le rapport complexe entre les notes et leurs commentaires verbaux sur la partition ; mais Satie a aussi laissé prospérer une part d'ombre, avec des pièces mélancoliques et graves qui composent l'essentiel de ce programme. Les Gnossiennes structurent ce programme ; leur veine orientalisante très fin de siècle alterne avec les autres chefs-d’œuvre parodiques que sont les Embryons desséchés de 1913, où Rossini, Chopin et la Huitième de Beethoven font l’objet de savoureuses caricatures. Enfin, la production de Satie pour le cabaret est à l’origine de petites merveilles artisanales, comme Je te veux, ou d’expériences fécondes pour l’avenir, comme Le Piccadilly, qui reste l’une des premières tentatives françaises d’adapter le ragtime.

A 17h00, l’Orchestre Lamoureux dirigé par Daniel Kawka offrira au public de la Cité de la Musique Mercure, Parade, Le Fils des étoiles et Jack in the Box. Étrange ensemble que celui des musiques de Satie pour ou autour de la scène. En 1891, au beau milieu de son adhésion au mysticisme de l’ordre de la Rose-Croix catholique du Temple et du Graal, il compose ce qu’il nomme lui-même une « wagnérie kaldéenne » : Le Fils des étoiles. Qui n’a pourtant rien de wagnérien puisque, comme il s’en souviendra plus tard, il expliquait en même temps à Debussy « le besoin pour un Français de se dégager de l’aventure Wagner » – en vue d’une musique « sans choucroute, si possible ». Une musique qui pourrait bien ressembler à un simple décor sonore statique. Avec Jack In The Box en 1899, cette indifférence en musique prend les couleurs explicites du cirque stylisé. Comme ce sera aussi le cas, en 1917, de Parade, un ballet réalisé en collaboration avec Diaghilev, Massine et Picasso. L’orchestration par blocs a quelque chose de cubiste, de même que ces objets trouvés sonores que sont la machine à écrire ou le revolver. La pulsation est celle, immuable, du battement d’un cœur humain. L’aventure se poursuivra en 1924, avec Picasso encore, dans le ballet Mercure.

Comme un alchimiste, Alexandre Tharaud a voulu conclure cette journée Satie, à 20h00, par un feu d'artifice où texte et musique se nourrissent sans cesse. On trouve d'abord, trônante, la figure de Juliette. « Amateurs de chanteuses anémiques, écrit sur elle François Morel, adorateurs de vedettes lyophilisées, passez votre chemin. Juliette a pris son courage à deux mains, elle charroie du verbe et de la musique, elle maçonne un domaine. C’est une bâtisseuse. C’est épicé, savoureux, toujours inattendu. » Épicé, savoureux, inattendu : autant d’épithètes que l’on pourrait accoler à la musique et au personnage d’Erik Satie. Et, comme l’excentrique musicien, Juliette aussi vient de la tradition du café-concert. Satie accompagnait Vincent Hyspa ou Paulette Darty dans les cafés de Montmartre ; Juliette fut pianiste de bar à Toulouse, où elle chantait Brel et Piaf. Entre ces deux-là, il y a décidément des motifs de complicité.

On l’entendra, cette complicité, au fil des mélodies et des chansons de Satie. Mais aussi dans Le Piège de Méduse, une « comédie lyrique » en un acte de 1913, pour laquelle Satie écrivit le texte et la musique, qui se compose de sept danses pour piano. Aux personnages de Satie, il faut ajouter un singe mécanique, Jonas, qui danse sur la musique. L’intrigue surréaliste annonce Ubu Roi de Jarry, qui ne verra le jour que quinze ans plus tard. On dit que, lors de la première privée chez les parents de Roland-Manuel, Satie avait glissé des feuilles de papier entre les cordes du piano, pour obtenir un son différent. John Cage, qui utilisera quelques décennies plus tard de tels « pianos préparés », fut l’initiateur d’une reprise mémorable du Piège de Méduse en 1948, au Black Mountain College : il était lui-même au piano, tandis que Merce Cunningham dansait la partie du singe.

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