La soirée du 11 septembre marquait dès son ouverture l'un des événements les plus importants de cette édition 2010 du Festival d'Ambronay avec la résurrection de Il Diluvio Universale, un oratorio méconnu mais passionnant du compositeur italien Michelangelo Falvetti, sous la baguette de Leonardo García Alarcón.

Première mondiale étonnante de qualité, Il Diluvio Universale valide totalement la démarche de redécouverte du centre d'Ambronay, et confirme le talent éclatant du chef Leonardo García Alarcón. L'oratorio Il Diluvio Universale de Falvetti, composé en 1682, qui reprend l'histoire de l'Arche de Noé, n'est rien moins qu'un chef-d'œuvre.

Michelangelo Falvetti (1642-1692), originaire de Calabre, obtint d'abord une formation religieuse et musicale à Palerme, où il endossa en 1670 la charge de maître de chapelle. De ce poste, il obtint une influence importante au sein de la communauté musicale, fondant l'un des premiers syndicats de musiciens à Palerme. Il composa Il Diluvio Universale peu après son arrivée à Messine en Sicile dans un contexte socio-politique délicat. Messine, par sa richesse et sa puissance grandissante, représentait une menace au règne espagnol. Pour cette raison, le vice-roi de Palerme déploya une campagne violente contre Messine, rasant son hôtel de ville et répandant du sel sur ses ruines.

Ainsi, outre la lecture moderne littérale du livret, on peut interpréter son contenu, avec son chœur final au message conciliateur, comme une proclamation politique qui conserve aujourd'hui toute sa pertinence.

Hors sa beauté, c'est l’originalité et la force d'évocation de l’œuvre qui frappent. On le remarque immédiatement dans la « Sinfonia di tempeste », où les différentes parties instrumentales entrent les unes après les autres sur la même note, dépeignant d'une manière saisissante la pluie qui devient tempête. Falvetti fait usage habile des interruptions de musique : pour manifester la fureur, dans l'ouverture, lorsque celle-ci est brutalement arrêtée par la Justice Divine venant invoquer les éléments ; pour symboliser la mort, dans un chœur qui voit l'humanité en train de périr dans le déluge. À quoi s’ajoutent des effets habiles du livret, telle la fin des deux derniers vers de ce chœur qui sont inachevés, représentant les hommes en train de se noyer :

[...] {Aux ondes je livre ma V--

Ah, sort perfide, j'avale la Mo--}

L'intensité dramatique se traduit aussi par la violence des scènes : le ballet des éléments, insensibles et d'une férocité animale lorsqu'ils brandissent leurs armes, prêts à éradiquer l'humanité ; la jubilation de la mort qui voit déjà en ce déluge sa gloire prochaine.

Les voix étaient toutes superbes et harmonieuses. Si Mariana Flores (Rad, la femme de Noé), d'une clarté et d'une force lumineuse, s'est imposée comme voix principale, cela n'a pas empéché Fernando Guimarães de briller par la sensibilité émouvante de son Noé. Leur capacité à rendre leur amour convaincant apportait un contrepoint important à la fureur des entités célestes. La mezzo Evelyn Ramirez Munoz s'est aussi distinguée par la brutalité impressionnante de sa « Justice Divine » et sa voix sombre et puissante. Le personnage de la Mort représente une légère déception, parce que, d'une part, il a été campé de manière un peu trop irrévérencieuse et bouffonne, en rupture avec la teneur du livret — qui représente la Mort comme une entité, certes, jubilant à la perspective de faucher l'humanité mais, semble-t-il, sans en faire un personnage de comédie ; d'autre part, parce que la prestation de Fabián Schofrin n'a pas semblé au niveau des autres solistes. La voix était fatiguée, et malgré ses qualités théâtrales indéniables, on pouvait espérer une voix plus en harmonie avec l'ensemble.

Le Chœur de Chambre de Namur, qui chantait l'Humanité tour à tour suppliante, mourante, et renaissante, complétait magnifiquement les solistes. De La Capella Mediterranea, il faut mentionner au premier rang les cordes pincées (Marina Bonetti à la harpe et Thomas Dunford au luth, particulièrement remarquables ; mais aussi Matthias Spaeter au luth, et parfois Eric Mathot à la contrebasse et Andrea Fossà au violoncelle). Le tout reposant sur un imposant coussin de violons et de violes de gambe, à la tête desquels figurait Flavio Losco.

Partout l'écriture de Falvetti est distillée, le dramatisme du texte exacerbé par l'intelligence des choix de Alarcón. Qu'il s'agisse de la mise en espace, des percussions iraniennes (Keyvan Chemirani, toujours discret et pertinent), ou de l'instrumentation luxueuse.

Le succès de cette œuvre pourrait marquer le début de la redécouverte de Falvetti : Maccavino s'apprête tout juste à redécouvrir son Nabucco (1683). "J'aimerais beaucoup avoir la partition…" dit Alarcón...

À noter : inaugurée à Ambronay, la tournée se poursuivra d'abord le, samedi 24 novembre (20h) à Genève (lieu à communiquer). Le concert à Ambronay a été capté par RTBF, pour une diffusion prévue sur ses chaines le 27 septembre prochain, et par Mezzo, pour une diffusion prévue en novembre. Le disque devrait sortir chez Ambronay Editions à la fin 2011.

Festival d'Ambronay