Incarnation d’une génération engagée, le quatuor français continue de faire évoluer sa formule post-punk sur son troisième album “Pink Colour Surgery”, produit par Daniel Fox. Entretien avec le guitariste Martin Bejuy et le clavier-bassiste Paul Dussaux, tous deux au chant.

Qu’est-ce qui guide votre création artistique ?

Paul Dussaux : C’est marrant, on sortait de concert la semaine dernière et on se le disait encore : l’esthétique de notre musique, on s’en fiche un peu. Ce qu’on aime, c’est faire de la musique tous les quatre, et c’est tout. En ce qui me concerne, la musique agit comme de l’art-thérapie. La scène, c’est ce que je préfère. C’est un espace, un outil, qui me fait énormément de bien car j’y extériorise des choses du plus profond. Et je n’ai pas encore trouvé d’équivalent.

Dans votre musique, la scène est-elle plus importante que le disque ?

Martin Bejuy : Chez nous, la musique vit énormément sur scène. On est plus un groupe de live que de studio, même si on est des geeks du son. C’est à la fois très esthétique mais aussi la réalité du système actuel. On gagne notre vie grâce aux concerts et non grâce aux disques. Parce qu’on ne vend plus des millions de disques. Cette ère-là est passée et du coup, on cherche ailleurs. Le studio est un point de départ, un moment figé où l’on va passer deux semaines, après des mois de préparation. Ensuite, nos morceaux évoluent sur scène. On aime ça alors on essaie de proposer quelque chose de différent chaque soir. On n’est pas de ceux qui jouent exactement leur disque. Sur scène, il y a de la place pour l’improvisation, le feeling du moment. C’est vivant.

Et l’engagement est aussi important que la musique ?

Paul Dussaux : On s’en parlait aussi récemment. Mêler la politique à l’artistique est une porte dangereuse à ouvrir. On est une génération qui découvre, qui remet en question. En tant qu’artistes, on participe à un système de représentation. On nous donne un micro, on nous propose de monter sur scène. Pour faire quoi ? Ça nous semble donc très important de chercher un point de jonction entre les militantismes individuels et collectifs. Le groupe, on le veut comme un espace où s’expriment ces envies de changement. Comme la misogynie dans le milieu du rock, l’invisibilité des femmes… Il y a tellement de trucs dont on a été témoins ! Au fur et à mesure, on a cerné ce qu’on ne voulait pas reproduire. On pensait que « sex, drugs, rock’n’roll » était un imaginaire révolu. Maintenant qu’on a pas mal du monde qui nous suit, ça nous semble important de prendre la parole sur ce qui nous semble être à portée de main et légitime. Notre communauté est bienveillante et ça fait le tri, parce que certains ne comprennent pas qu’on utilise nos réseaux sociaux pour parler du consentement, des émeutes et du racisme au sein des forces de l’ordre…

Martin Bejuy : Et c’est même une revendication qu’on a maintenant et qui fait énormément de bien d’ailleurs, parce que ça donne du sens à ce qu’on fait. On a la sensation de participer au débat. Parfois, c’est maladroit. Parfois, on se plante. C’est normal. Le militantisme sans aucune contradiction, c’est ce qu’on essaie de nous vendre et ça n’existe pas. On se prend quelques taquets du genre : « Votre rôle, c’est de faire de la musique, c’est de donner du plaisir aux gens. Pour défendre des idées, il y a des politiciens alors restez à votre place. » Mais quand on voit comment nos politiciens essaient de défendre des idées, on a bien envie de défendre les nôtres !

Quel regard portez-vous sur la scène rock française actuelle ?

Martin Bejuy : Il y a pas mal de groupes qu’on croise souvent, avec qui on s’entend super bien, comme Last Train qui a relancé quelque chose. Même s’il y a plein de scènes différentes, pas mal de groupes ont émergé, avec une petite communauté. Après, nous, on évolue dans notre musique. C’est comme disait Paul : l’esthétique, en tout cas, l’attitude rock, elle ne nous plaît pas du tout, et on essaie de s’en détacher un peu. Cette attitude un peu bad guy, ça a fini par me gaver parce que je m’y suis confronté en me disant : « Il faut que je me fasse entendre car si je débarque tout gentil, je vais me faire écraser par d’autres. »

Paul Dussaux : Alors que si tu arrives avec une tête de mort, en mode « tu me touches, je te tue », c’est un peu plus respecté dans des milieux où tu as une majorité de mecs et où la performance virile opère. Je ne dis pas que c’est systématique, mais que ça m’a détaché de l’esthétique rock. Quand on croise d’autres groupes qui sont dans l’esthétique identifiée « rock » en France, comme Lysistrata, Pogo Car Crash Control ou Slift, on en discute. Il y a des choses sur lesquelles on n’a pas les mêmes positionnements, mais quand on parle de ces sujets-là, on est tous et toutes d’accord.

Avec ses expérimentations très noise, votre nouvel album Pink Colour Surgery dégage une certaine froideur et gravité. A sa sortie, vous l’avez présenté comme votre plus “léger”. Pourquoi ?

Paul Dussaux : “Léger” parce qu’il porte ce désir d’explorer d’autres émotions, comme l’envie de danser. Moi, j’avais vraiment envie de ça. On a deux trois morceaux où l’on va puiser dans ces codes-là, avec un kick un peu sur tous les temps, des textures plus électroniques aussi. Mais on a aussi mis les pieds dans un truc très noise et expérimental qu’on n’avait pas osé faire jusqu’ici. Du coup, ça fait une espèce de cocktail qui, selon la sensibilité de chacun, peut avoir un effet waouh ou paraître à l’inverse plus pesant.

Martin Bejuy : C’était la première fois qu’on travaillait sur un disque sans être en tournée. En plein dans la période Covid, donc 2020-2021, on a compris que la tournée allait s’arrêter pour un temps indéterminé. Il nous restait plus que le studio de Mains d’Œuvres à Saint-Ouen, dans lequel nous étions résidents. On s’y retrouvait beaucoup, on faisait des jams. Au début, c’était un exutoire, un endroit où retrouver l’énergie des concerts. Et puis après un an, on s’est dit qu’on allait faire un album. Cet espace-temps nous a permis de questionner d’où l’on venait, cette esthétique punk rock très dark, mais aussi de découvrir d’autres champs musicaux et de mettre un pied dans la musique électronique. Et pour la première fois aussi, on s’est ouverts à une collaboration extérieure avec l’apport de Daniel Fox, le bassiste du très noise Gilla Band, un groupe qui nous a énormément influencés. Il a très bien endossé le rôle de producteur, a apporté sa patte sonore, ce qu’on assume totalement, sans tomber dans la simple copie.

The Psychotic Monks - Full Performance (Live on KEXP)

KEXP

Garder votre identité a été difficile ?

Martin Bejuy : Je n’ai pas l’impression d’avoir mis notre identité de côté. Je pense qu’il a réussi à se placer très intelligemment par rapport à ce qu’on lui proposait. Sur certains morceaux, on lui demandait si ça ne lui faisait pas trop penser à Gilla Band. On avait tellement les mêmes influences et inspirations que le travail était extrêmement fluide en studio. Il nous a permis aussi de nous distancer de notre désir de perfection. L’album précédent, on avait travaillé avec un ingénieur du son pas vraiment producteur et on faisait parfois 15 ou 16 prises pour atteindre cette perfection. Là, Daniel était carré au bout de trois prises. C’était clairement : « Vous ne ferez pas mieux, on peut passer à autre chose. » C’est un peu con, mais on lui a fait confiance parce qu’il y a aussi, mine de rien, cette admiration. Étant musicien, il connaît bien cette dynamique perfectionniste et a été super compréhensif. Daniel a su, et c’est la force d’un producteur je crois, mettre des limites à nos habitudes et respecter un timing sans entamer l’ambition du projet.

Est-ce que, aujourd’hui, vous vous faites plus confiance artistiquement ?

Martin Bejuy : Ce qui compte, c’est de se sentir bien avec la pratique. Si on m’avait dit il y a cinq ans qu’on ferait ce genre de musique, je n’y aurais jamais cru. On est toujours extrêmement surpris des directions qu’on prend. Mais j’ai de plus en plus confiance et quand ça marche, ça donne confiance. Après, je suis un éternel insatisfait. Le jour où l’on sortira un album que je trouve bon, ce sera mon dernier. Pink Colour Surgery, depuis qu’il est sorti, je ne l’ai pas écouté. Quand je réécoute ce qu’on a fait avant, j’aimerais en réenregistrer quasiment tous les morceaux. Mais le disque en soi, en tant qu’objet, je le désacralise énormément. C’est une carte de visite, pas une œuvre d’art. Une carte qui permet de rencontrer des gens, de transmettre du spectacle vivant. Le temps où les groupes arrêtaient les concerts pour faire des disques qui ont marqué l’histoire est fini, en tout cas dans notre scène.

  • Concerts
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  • 02/12/2023 • DEVENTER (NL), Burgerweeshuis
  • 03/12/2023 • THE HAGUE (NL), Festival Paard
  • 14/12/2023 • SAINT-ETIENNE (42), Le Fil
  • 15/12/2023 • OIGNIES (62), Le 9-9bis
  • 16/12/2023 • MASSY (91), Paul B
  • 21/12/2023 • LAVAL (53), 6PAR4
  • 10/01/2024 • PARIS (75), La Gaîté Lyrique