En 1969, une bande de crétins autoproclamés dynamite le rock’n’roll à coups de distorsion et de textes nihilistes. A la tête de ces Stooges, Iggy Pop, une sorte de Nijinski habité et révolté, destiné à devenir le parrain du punk rock à venir.

La ville de Muskegon, au bord du lac Michigan, n’est pas particulièrement réputée pour abriter des reptiles… C’est pourtant là que, le 21 avril 1947, un iguane pas comme les autres voit le jour. Un iguane ou plutôt l’Iguane ! Le seul et unique Iggy Pop, né James Osterberg. Considéré comme le parrain du punk rock, il est une des plus fascinantes figures de la culture pop américaine. Un animal sauvage qui a secoué la planète rock à l’aube des années 70 aux commandes de ses Stooges dont les trois premiers albums – The Stooges, Fun House et Raw Power – composent une vraie sainte trinité. Un Nijinski habité et révolté qui poursuivra en solitaire (aidé par un certain David Bowie) ses contorsions électriques et deviendra une véritable icône.

© Magnolia Pictures

C'est à Ann Arbor, à deux jets de pierre de Detroit, que décolle l’aventure Stooges, du nom de ce trio comique américain, les Trois Stooges, très populaire au milieu du XXe siècle. Une cité industrielle ne peut qu'enfanter un rock agressif comme une machinerie d'usine. La première secousse sismique des Stooges, qui paraît durant l’été 1969, sera donc la bande-son de ces Temps modernes et de la révolte qu'elle ne peut que susciter. Armées de pédales wah-wah et de fuzz déglinguées, les guitares de Ron Asheton tranchent dans le gras, la rythmique préhistorique de Scott Asheton et Dave Alexander martèle et le reptile Caruso ne peut qu'appeler à la rébellion. Le conflit vietnamien s'enlise, la jeunesse américaine s’emmerde (No Fun à tous les étages) et l'Iguane et ses Crétins se vautrent dans un génial manifeste nihiliste, sorte de garage rock chamanique porté par les hymnes I Wanna Be Your Dog, 1969 et No Fun. Ce premier uppercut des Stooges d’Iggy Pop est produit par l’ex-Velvet Underground John Cale. Un disque qui ose même quelques expériences chimiques comme les dix minutes de We Will Fall emmêlées dans la viole de John Cale. Et dire que l’épisode suivant sera bien plus apocalyptique…

Les 3 indispensables

1969 - 1973

Car Fun House, qui sort un an plus tard, est un vrai trip psychiatrique. Une jam électrique de free rock sous forme de grand-messe célébrée par le père Osterberg et sa bande de freaks dégénérés dans le rôle des… enfants de chœur ? Grand gourou des guitares, Ron Asheton enroule ses riffs autour de l’organe reptilien de son chanteur qui, sur scène, finit ses concerts à moitié nu et se taillade le poitrail à coup de tessons de bouteille. La rythmique primitive fait rentrer tout le monde dans les rangs. Et le saxophone improbable et free de Steven McKay donne à cette cérémonie une saveur vaudoue unique et originale. Avec Fun House, le rock’n’roll n’a jamais autant senti la mort, la drogue, le sexe et la fin du monde…


Gimme Danger – Official US Trailer | Amazon Studios

Amazon Studios

Il faudra attendre presque trois ans avant que le troisième épisode des aventures d’Iggy et ses Stooges ne sorte enfin. Exit Dave Alexander, qui file sa basse à Ron Asheton et entrée en cours de match de James Williamson pour s’occuper des guitares. Avec Raw Power, la légende de l’Iguane monte d’un cran. Poussés en studio par David Bowie, Iggy et son groupe concoctent une nouvelle bombe atomique dont l’Iguane, plus sombre que jamais, est le détonateur. Ces titres de chansons ! Search & Destroy, Penetration, Gimme Danger, Raw Power, Death Trip : l’esprit n’est pas trop à Petit Ours Brun… Iggy braille, miaule, éructe, pleure, chante aussi, et le feu comme le sang sortent de son gosier. Le leader des Stooges reprochera toutefois à l’ami Bowie d’avoir rendu l’ensemble moins sauvage que ce qu’il n’était à l’origine. Au point qu’en 1997, il remixera l’album pour lui rendre sa puissance et sa sauvagerie initiales. Nombreux sont celles et ceux qui rangeront Raw Power dans le top 10 des plus grands albums de rock de tous les temps. Drogue, alcool, problèmes d’ego et engueulades, les Stooges ne peuvent que baisser le rideau et Iggy tracer en hôpital psychiatrique...

La carrière solo de l’Iguane continue peu ou prou sur le même rythme avec notamment ses deux merveilles The Idiot et Lust for Life. En 2003, Iggy converse à nouveau avec les frères Asheton et le saxophoniste Steven Mackay. Les Stooges (ou ce qu’il en reste) remontent sur scène et publient The Weirdness en 2007. Deux ans plus tard, le 6 janvier 2009, Ron Asheton est retrouvé mort. Son frère Scott lui embraye le pas le 15 mars 2014, suivi du saxophoniste Steve Mckay le 10 octobre 2015. Entre-temps, l’album Ready to Die vient boucler la discographie stoogienne en avril 2013. Pour pallier l’absence de Ron Asheton, Iggy avait rappelé au bercail James Williamson pour un furieux festival rock’n’roll sur lequel il croonait en mode punk comme jamais. Le 22 juin 2016, le guitariste peut, sans surprise, s’exprimer officiellement. « Les Stooges, c’est fini ! En gros, tout le monde est mort sauf Iggy et moi. Ce serait donc ridicule de tourner sous le nom d’Iggy And The Stooges avec un seul Stooge à côté d’Iggy », explique-t-il au moment de la sortie de Gimme Danger, un documentaire réalisé par le cinéaste Jim Jarmusch, en 2017. Six ans plus tard, en 2023, Iggy, lui, est toujours là. A 75 ans, il a remplacé ses Stooges par un rassemblement d’all stars avec notamment Duff McKagan (Guns N’ Roses), les guitaristes Stone Gossard (Pearl Jam), Dave Navarro (Jane’s Addiction) ou le batteur Chad Smith (Red Hot Chili Peppers) pour son nouvel album, Every Loser, sur lequel il démontre qu’il n’a rien perdu de sa fougue de l’époque.

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