Depuis 450 ans, la musique du compositeur est réévaluée. Retour sur une évolution sans cesse en mouvement.

Encooooooore un article sur Monteverdi… et après ? N’importe qui peut regarder sur l’un des dizaines de sites d’Internet qui traitent du personnage, de sa vie et de son œuvre, de ses œuvres individuelles, alors nous n’allons pas insulter nos aimables lecteurs d’un de ces infâmes copier-coller auquel nous aurions changé deux ou trois mots pour rendre le larcin moins évident. De plus, les enregistrements de ses œuvres sont légion, y compris bien sûr sur Qobuz, et ce considérant qu’il représente l’un des répertoires les plus couverts de la période Renaissance-virant-baroque – surtout, il est vrai, des interprétations sur instruments d’époque et avec des voix à la baroque/Renaissance, chacune de ces interprétations criant à qui-mieux-mieux qu’elle est la plus authentique en termes historiques… oubliant au passage que même au temps de Monteverdi, il n’existait pas de « version définitive », en tenant compte des divers manuscrits contradictoires, des copies, des copies de copie – avec le risque du téléphone arabe que l’on sait -, tandis que chaque version imprimée, même à l’époque, n’est souvent que l’expression d’une représentation donnée, tributaire des contingences instrumentales et vocales du moment. Certes, nombre de partitions imprimées au XVIIe siècle semblent très précises, mais ce ne sont pourtant que des instantanés, en vérité.

Oui, des instantanés. Pour illustrer cet état de fait, nous nous concentrerons un peu sur une œuvre dont la partition, imprimée à l’époque, répond à autant de questions qu’elle en laisse sans réponse : L’Orfeo, écrit en 1607 pour une représentation à la cour de Mantoue pour la période du Carnaval. Après une première représentation, l’ouvrage fut repris dans cette même ville, puis peut-être dans d’autres centres italiens au cours des années suivantes. La partition fut imprimée par Monteverdi en 1609 puis rééditée en 1615 ; chose rare, le compositeur y dresse une liste de 41 instruments sensés accompagner l’ouvrage. Dix viole da brazzo, deux contrebasses (contrabassi da viola), deux petits violons (violini piccoli alla francese), quatre trombones (des sacqueboutes, donc), trois trompettes et deux cornets, voilà pour l’orchestre « principal ». Le continuo était tenu par deux clavecins, une harpe double, deux chittaroni, deux orgues à tuyaux (organi di legno), trois violes basses, et un regal ou petit orgue portatif. En plus de ces deux groupes, on trouve aussi deux flûtes à bec sopranino, et peut-être un cistre – qui n’est pas compris dans la liste initiale, mais Monteverdi le mentionne dans l’une de ses indications à la fin du quatrième acte. Facile, tout ça ? Non point. Certes, il s’agit bien de la liste orchestrale figurant en tête de la partition, mais dès qu’on se penche sur la musique elle-même, les précisions se font très floues ; quelques lignes sont attribuées à tel ou tel instrument au tout début, puis à partir de là les exécutants sont laissés dans le flou jusqu’à la fin de l’ouvrage. Les passages chantés solos ne comportent que la ligne de basse en plus du chant, rien d’autre, de sorte que les musiciens du continuo doivent improviser selon les instruments qui excitent leur fantaisie et en fonction de quelques habitudes de l’époque. Dans les passages choraux, toutes les lignes vocales sont écrites mais en ce qui concerne les instruments, la partition ne fait qu’indiquer que « ce chœur a été chanté avec accompagnement de tous les instruments » ou « ce ballet a été chanté au son de cinq viole da braccio, trois chittaroni, deux clavecins, une harpe double, une viole contrebasse, une flûte à bec », sans que l’on sache vraiment qui joue quoi et quand. Ces indications, certes imprimées, ne sont en réalité que le témoignage d’une exécution un jour donné, telle que l’œuvre fut donnée alors, mais il semble évident que d’autres exécutions ont pu faire appel à d’autres forces instrumentales et d’autres orchestrations, en fonction de ce dont on disposait sur le moment. De jouer L’Orfeo de nos jours en n’utilisant que ces 41 instruments, mordicus, ne ferait que perpétuer un instantané sans rendre justice à l’immense flexibilité de la partition. Qui plus est, on peut aisément imaginer que sur les airs chantés, rigoureusement limités sur la partition à la ligne chantée et la basse, tel ou tel instrumentiste aura improvisé quelques contre-chants, quelques doublures, quelques réponses rythmiques ou mélodiques. Alors que les exécutions de nos jours s’interdisent d’outrepasser cette ligne rouge ; oui, quelques bribes d’ornementations sur la voix chantée peuvent être entendues au clavecin, au luth, mais jamais aucun instrument mélodique n’osera s’en mêler. Dommage… bien entendu, les instrumentistes se refusent à rajouter quelque chose de trop audible, alors que quelques frisottis de clavecin ou de luth, à la rigueur, ça passe encore. Quant aux lignes vocales, elles sont souvent rédigées dans une sorte de script minimal sur lequel les chanteurs rajoutaient quelques ornementations selon leur goût et leurs capacités vocales. A ce sujet précis, l’aria d’Orphée « Possente spirto » est très intéressante, car l’édition de 1609 propose deux versions, l’une minimaliste, l’autre extrêmement développée dans l’ornementation – tandis que Monteverdi indique simplement que le chanteur doit choisir selon ses préférences. L’ornementation est à ce point précise que l’on peut aisément imaginer qu’il s’agit là d’une notation plutôt fidèle de que le ténor Francesco Rasi (1574-1621) avait improvisé en 1607 lors de la création de l’œuvre. Peu d’autres passages de la partition offrent ce choix, mais cela ne signifie nullement que les chanteurs n’ont pas le droit de se laisser aller à leurs fantaisies…

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