Terry Hall, le chanteur des Specials, est mort

C’était un personnage à part de la scène britannique, artistiquement né en plein tsunami punk et artisan majeur du revival ska : Terry Hall, qui vient de mourir le 19 décembre 2022, restera avant tout comme LA voix des Specials, même si sa carrière empilera par la suite d’autres projets comme les Fun Boy Three, The Colourfield ou encore Vegas avec Dave Stewart.

En pleine déflagration punk, l’Angleterre de la fin des années 70 ressuscite le ska. Un revival assez salvateur mené de main de maître par Madness, The Selecter, The Beat et surtout les Specials. Originaire de Coventry, ce groupe multiracial fondé par Hall et Jerry Dammers, et soutenu par Joe Strummer des Clash, remet au goût du jour les rythmes syncopés du rocksteady jamaïcain et de son aïeul, le ska. Pork pie hats, costards cintrés, motifs à damiers, le dress code est obligatoire pour mieux apprécier leurs chefs-d’œuvre que furent A Message to You Rudy, une cover de Dandy Livingstone, Too Much Too Young ou bien encore Gangsters, relecture du Al Capone de Prince Buster, et qui brillaient sur leur premier album de 1979 paru sur 2 Tone Records, le mythique label monté par Dammers.

Un an plus tard, à l’automne 1980, les Specials signent More Specials, une suite tout aussi brillante en embarquant leur ska vers d’autres saveurs, qu’elles soient jazz, pop, lounge ou exotiques. Côté chansons, le niveau monte encore d’un cran avec des merveilles mélodiques comme Ghost Town et la face B de sa version single, Friday Night, Saturday Morning. Les Specials convient même des membres des Go-Go's, (Belinda Carlisle, Charlotte Caffey et Jane Wiedlin), ainsi que Rhoda Dakar des Bodysnatchers et Lee Jay Thompson de Madness. Les textes sont toujours aussi engagés et comptent parmi les plus subtils dans un domaine où la caricature et la lourdeur peuvent vite plomber le propos… Moins frénétique que son prédécesseur, More Specials est un disque finalement plus aventureux et plus dense musicalement. Mais tout ne fut pas qu’entertainement et c'est le militantisme de Terry Hall et des siens qui restera comme la véritable BO de la jeunesse désabusée de l’Angleterre thatchérienne minée par le conservatisme des autorités, le chômage croissant, les émeutes de Brixton du printemps 81 et les exactions quotidiennes du National Front et des nazis du British Movement.

En 1981, les incompatibilités d’humeur et les dissensions poussent Terry Hall et deux autres membres des Specials, Neville Staple et Lynval Golding, à lancer un nouveau groupe qui ne durera que deux ans : Fun Boy Three. Le ton est plus léger, le son plus chamarré, mais la prose n’est pas pour autant insouciante. Sur la chanson Well Fancy That par exemple, Hall révèle avoir été sexuellement abusé à l’adolescence lors d’un voyage scolaire en France. Un drame l’ayant poussé très jeune vers une consommation XXL de Valium et médocs en tous genres. L’alcool est aussi un refuge qui rongera longtemps ce bipolaire diagnostiqué qui tente de se suicider et quitte l’école à seulement 14 ans.

Assez dense, l’après-Fun Boy Three est un enchaînement de projets divers et variés : en 1984, dans une veine pop/new wave/soul, le groupe The Colourfield avec Toby Lyons et Karl Shale accouchera des albums Virgins and Philistines et Deception, des piges pour Ian Broudie des Lightning Seeds, le trio Terry, Blair & Anouchka en 1989, avec Anouchka Grose et l’actrice américaine Blair Booth, le groupe Vegas avec Dave Stewart d’Eurythmics, sans oublier de nombreuses collaborations pour des artistes aussi divers que Tricky, Lily Allen, Shakespears Sister, Gorillaz et même le projet français Nouvelle Vague. Vers 2008, Terry Hall participera à la reformation des Specials (sans Dammers). En 2019, avec Lynval Golding et Horace Panter, il enregistre un nouveau Specials intitulé Encore, et sur lequel le ska croise de la soul et du disco vintage. En 2021 suivra Protest Songs 1924 - 2012, belle collection de reprises venues du blues, du rock, du folk, de la soul et du reggae. Des chansons engagées, principalement made in USA, signées Leonard Cohen, Talking Heads, les Staples Singers, Big Bill Broonzy, Bob Marley, Chip Taylor, Malvina Reynolds et même Frank Zappa. Nouvelle preuve que jusqu'au bout, Terry Hall brandira toujours bien haut son poing serré.

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