Romantique à souhait, le 13e album d’Etienne Daho est un luxueux bric-à-brac rempli de références haut de gamme et d’invités prestigieux.

De loin, on pourrait croire que Tirer la nuit sur les étoiles est le faux jumeau de Blitz, le précédent album d’Etienne Daho sorti en 2017 (même si, entre-temps, il y a eu l’album de reprises Surf). On y croise des références communes (Hollywood, Jean Genet…) et quelques invités de marque qui remettent le couvert (le groupe américain Unloved, Yan Wagner, Calypso Valois). Et tout comme Blitz, le présent album porte le sceau du savoir-faire londonien (orchestre symphonique enregistré à Abbey Road sous la direction de Sally Herbert). Mais lorsque l’on zoome un peu, on se rend compte que les deux albums sont très différents. Si en 2023 l’univers de Daho perd en densité psychédélique, il gagne en romantisme échevelé, en force vitale et en décorum flamboyant.

Car Tirer la nuit sur les étoiles a des allures de luxueux palace qui, à mi-chemin entre le clinquant surchargé et l’élégance suprême, abriterait les passions les plus folles. Dans le hall d’entrée, on est accueilli par Ava Gardner et Frank Sinatra, qui ont inspiré les paroles du morceau Tirer la nuit sur les étoiles (en duo avec Vanessa Paradis). Portée par deux batteurs exaltés, la chanson illustre l’une des marottes d’Etienne Daho depuis ses débuts au milieu des années 1980 : aborder le thème de la passion amoureuse à travers la mythologie hollywoodienne. Souvenons-nous de Duel au soleil en 1986, qui se référait au célèbre western de King Vidor avec Jennifer Jones et Gregory Peck.

Revenons à Gardner et Sinatra. On raconte en effet qu’au moment de leur rencontre à la fin des années 1940, les deux tourtereaux sont partis dans le désert pour tirer sur les étoiles avec un revolver. Une anecdote au romantisme tellement fou qu’elle devait faire partie du panthéon foisonnant de l’interprète de Week-end à Rome. Mais la passion selon Daho peut également prendre des contours plus orageux, comme le prouve Le Phare (inspiré de la relation destructrice entre Francis Bacon et Georges Dyer), ainsi que le très électronique Virux X, fruit de la rencontre entre le chanteur français et le duo italien Italoconnection. Dans cette chanson (tout comme dans Les Derniers Jours de pluie), il est également question de Saint-Malo – où a été partiellement conçu le disque. Depuis Jean Genet et Rainer Werner Fassbinder, on sait à quel point la mer et les villes portuaires sont un écrin idéal pour décrire l’intensité amoureuse – sereine ou déchaînée.

Dans le palace de notre crooner postmoderne aux inflexions charmeuses, on trouve également de jeunes pousses de la pop d’aujourd’hui, lesquelles trouvent parfaitement leur place parmi le bric-à-brac rétro et scintillant de Daho. Au milieu de cordes et de cuivres flirtant parfois avec la soul (mais aussi la muzak) d’un autre âge, on croise Lou Lesage sur Boyfriend, Calypso Valois sur Les Derniers Jours de pluie ou encore Yan Wagner sur Le Chant des idoles. Quant à I’ve Been Thinking About You, il s’agit de la reprise d’une chanson de Unloved, trio américain empruntant à la fois au jazz et au rock sixties. Et toujours avec eux, Daho signe Boyfriend, qui raconte les différents visages de l’amour. Signalons qu’ils ont également produit quelques chansons de l’album (le producteur « en chef » étant le fidèle Jean-Louis Piérot). Tirer la nuit sur les étoiles se termine en beauté décadente avec Roman inachevé, dont la descente chromatique légèrement dissonante fait office de chant du cygne d’une passion amoureuse passée par tous les excès.

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