Le maître catalan se confronte de nouveau à Mozart avec une précision historique toujours plus poussée, et offre une des meilleures versions du “Requiem”.

On est toujours aux aguets lorsque de grands musiciens réenregistrent leurs œuvres fétiches à plusieurs années d’intervalle. Une fois passée la comparaison entre les différents enregistrements, on est tenté d’y voir des photographies instantanées d’un ethos esthétique, les témoins d’une évolution artistique. Dans le cas présent, Jordi Savall nous offre un beau cadeau : trente ans après sa première version du Requiem, le voici dirigeant le chef-d’œuvre mozartien avec un Concert des Nations aux effectifs entièrement renouvelés. Savall s’y révèle d’autant plus touchant qu’il explique son geste par un événement personnel, survenu par hasard à l’âge de 14 ans : sa confrontation aussi éblouissante qu’imprévue à l’œuvre quasi testamentaire de Mozart.

Dans cette nouvelle production, le maître catalan pousse encore plus loin son obsession du détail et de l’interprétation historiquement informée : la prononciation latine en vigueur à Vienne à l’époque, le diapason 430, les embouchures spécifiques des trombones. L’ensemble s’est également appuyé sur les remarquables travaux du couple de musicologues Jean et Brigitte Massin.

Ce Requiem subjugue par sa fluidité. Les solistes s’y révèlent étincelants, en particulier Rachel Redmond, renversante soprano, et le baryton Manuel Walser. Le chœur de la Capella Nacional de Catalunya forme un roc solide avec le Concert des Nations, chaque formation épousant les aspérités de l’autre dans un jeu de contrastes rappelant les rapports ambigus de Mozart avec la foi chrétienne. L’enregistrement culmine dans le Lacrymosa à l’équilibre déchirant dans la sensualité des lignes mélodiques. Cette nouvelle version se hisse parmi les meilleures en touchant du doigt le mystère du génie mozartien sans jamais le dénaturer.

Une figure de l’interprétation historique informée

Depuis plus d’un demi-siècle, Jordi Savall œuvre comme l’un des plus prolifiques et talentueux acteurs du renouveau de la musique baroque et de la Renaissance. Avec les ensembles qu’il a fondés à la fin des années 80, le Concert des Nations et la Capella Reial de Catalunya, il dépoussière les plus belles partitions des temps anciens, dans un souci constant d’une précision de geste et de pureté du timbre qui ont fait sa marque de fabrique.

La longévité de la carrière de Jordi Savall (il est né en 1941) l’a amené à nouer des collaborations pérennes avec des artistes de haut vol, dont la regrettée soprano Montserrat Figueras, devenue sa femme. On lui doit de nombreux enregistrements de référence dont les Pièces de viole de Marin Marais ou une intégrale des Symphonies de Beethoven.

Il acquiert une renommée internationale en 1991 lorsqu’il enregistre la bande originale du film Tous les matins du monde d’Alain Corneau relatant la relation maître/élève particulière entre Jean de Sainte-Colombe et Marin Marais.

En 1997, la création de son propre label Alia Vox lui donne une totale liberté d’entreprendre des projets d’exhumation d’œuvres méconnues et oubliées. Le label a depuis produit plus de 200 disques régulièrement primés et salués par la critique comme des enregistrements de premier ordre.