12

Chronique

Depuis 2014, Ryuichi Sakamoto est engagé dans un infernal bras de fer contre le cancer. Un combat qu’il a logiquement décrit comme le marqueur majeur de son art. Mais son album de 2017, async, ne portait pourtant aucun stigmate testamentaire. C’était surtout l’instantané de milliers d’envies. Un maillage complexe et beau assez éclectique mêlé à une fascination pour toutes les formes de créations, musicales mais pas que. Le musicien japonais racontait alors que « cet album était une bande originale pour un film imaginaire d'Andreï Tarkovski. » Sakamoto disait s'être inspiré de ses scènes favorites du cinéaste russe. Sa musique, composée sur un synthé analogique, rendait aussi hommage aux poèmes d'Arseni Tarkovski, le père du réalisateur d’Andreï Roublev, Solaris, Stalker et du Miroir, que David Sylvian, l’ex-chanteur du groupe Japan avec lequel il avait collaboré dans les années 80, lui récitait. Plus loin, on entendait la voix de l’écrivain Paul Bowles (que Sakamoto avait enregistré en 1990 au moment de l’adaptation cinématographique d’Un Thé au Sahara qu’en fit Bernardo Bertolucci), la guitare du producteur électro Christian Fennesz, le violon de Simon James, le shamisen d’Honjoh Hidejiro.

Cinq ans plus tard, le Sakamoto de 12 épure son approche et vise l’essentiel. 12 pour douze thèmes enregistrés entre le 10 mars 2021 et le 4 avril 2022, d’une durée très variable (de 1’08 à 9’09), et portant chacun comme titre la date de leur enregistrement. La maladie n'a laissé aucun répit au musicien septuagénaire. « Après être finalement rentré chez moi dans mon nouveau logement temporaire après une grosse opération, je me suis retrouvé à tendre la main vers le synthétiseur. Je n'avais pas l'intention de composer quelque chose. Je voulais simplement être inondé de sons. Je vais probablement continuer à tenir ce genre de journal. » Impossible de dissocier ce propos de ce que l’on entend. D’imaginer un artiste physiquement affaibli mais mentalement porté par une grâce renversante. « Inondé de sons », tout est dit… Ces sensations de l’intime font frissonner tout au long de cet album essentiellement ambient. On pense parfois au Brian Eno d’Ambient 1: Music for Airports et Music for Films, ainsi qu’à certains enregistrements que Sakamoto a signé avec l’Allemand Carsten Nicolai alias Alva Noto depuis le début des années 2000. Ici, les séquences en tension font place à celles plus sereines voire évanescentes de nappes synthétiques mais viscéralement organiques. On imagine le poids de la maladie mais ce sont surtout les attaques mélodiques, rythmiques ou harmoniques qu’oppose Sakamoto qui prennent le dessus. Submergé par cette masse impressionniste, on ne pense plus à rien, comme happé par la vie. © Marc Zisman/Qobuz