Du 18 juin au 2 juillet, l’Opéra Bastille proposera une rareté signée Szymanowski et dirigée par Kazushi Ono : Le Roi Roger, œuvre phare située au confluent des cultures.

Un berger parcourt la Sicile en convertissant le peuple au culte d’un dieu païen. Lorsqu’il arrive dans le royaume du Roi Roger, le souverain puis son épouse sont séduits par cet étranger qui ébranle progressivement leurs certitudes. C’est en 1926 que le Polonais Karol Szymanowski composa cette œuvre en la nourrissant profondément de ses voyages en Sicile et en Afrique du Nord. Œuvre phare située au confluent des cultures, Le Roi Roger mêle les chants grégoriens aux inventions harmoniques sensuelles de l’impressionnisme français. Du 18 juin au 2 juillet, à l’Opéra Bastille, Kazushi Ono dirigera ce jalon incontournable de l’opéra du XXème siècle mis en scène par Krzysztof Warlikowski. Cet opéra en trois actes créé au Teatr Wielki de Varsovie le 19 juin 1926 fera ainsi son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris.

Le livret du Roi Roger trouve son origine dans les voyages que le compositeur fit en Sicile et en Afrique du Nord. Il raconte l’histoire d’un Berger- Prophète, en Sicile, au XIIe siècle, qui parcourt le pays, convertissant le peuple au culte d’un dieu païen. Le Roi Roger et son épouse, Roxane, sont tour à tour séduits par ce personnage pasolinien, qui, comme l’ange du film Théorème, sème le trouble autour de lui et remet en question les certitudes les plus ancrées. Ils le suivent dans sa célébration des sens, mais à la fin, le Roi résiste et il parvient à trouver un équilibre face à la lumière du Soleil qu’il contemple, extasié. Hiératique, plus proche de l’oratorio que de l’opéra au sens classique du terme, l’œuvre est en fait une fable qui oppose deux principes antagonistes : Apollon et Dionysos, l’Orient et l’Occident, le rigorisme et l’abandon de soi…A travers les différentes cultures et les différents influences qu’elle fait cohabiter, c’est aussi tout un monde de tentations et d’émois érotiques, où se lit en creux le désir homosexuel de Szymanowski, qu’elle met en scène. Sur le plan musical, Le Roi Roger fait montre d’un même mélange d’influences. On va des chants grégoriens authentiques du premier acte aux inventions harmoniques chatoyantes et sensuelles de l’impressionnisme français, en passant par les relents du post-romantisme allemand, Scriabine ou le Stravinsky du Sacre du printemps. Malgré les incontestables qualités musicales, la critique de la création fut assez réticente, prédisant à l’œuvre une longue carrière « après que le goût du public eut suffisamment évolué pour être capable d’en saisir toute la beauté ».

Né en 1882, à Tymoszowka en Ukraine, dans une famille de propriétaires terriens où l’on pratique la musique, la peinture ou la poésie, Karol Szymanowski intègre, après des études de piano, les classes de composition du Conservatoire de Varsovie où il rencontre Arthur Rubinstein mais aussi les jeunes musiciens qui ne tarderont pas à former avec lui le groupe avant-gardiste Jeune Pologne prônant une rénovation musicale contemporaine et résolument européenne. Une première symphonie (1907) doit à l’influence de Strauss, Wagner et Max Reger. Sa Symphonie n°2 (1911), où l’on perçoit l’empreinte de Scriabine et Chopin, accompagne de nombreuses oeuvres de musique de chambre et de pièces pour piano, une centaine de mélodies (Chant du Muezzin fou) ainsi que la composition de quatre symphonies, deux concertos pour violon, un Stabat Mater.

Sa première tentative théâtrale, l’opérette Loterie pour gagner un mari (1908-1909) et un premier opéra, Hagith, composé en 1913 sur le modèle de Salomé, précèdent un périple qui le conduit en Russie, à Vienne où il a la révélation de Debussy, Ravel et Stravinsky, en Italie et Sicile et jusqu’en Afrique du Nord où sa passion de l’Orient trouvera sa transposition dans sa Symphonie n°3 Chants de la nuit, dans les cycles de mélodies Chants d’amour de Hafiz et Chants d’une princesse de conte de fées comme dans son opéra Le Roi Roger (1926). L’amour de l’Orient, de la culture méditerranéenne et sa passion pour le jeune Boris Kochno imprègnent également un roman, Efebos, éloge de l’homosexualité, et Apologia pro vita sua. Plusieurs concerts sont donnés aux Etats-Unis où Pierre Monteux dirige l’une de ses symphonies à Boston tandis qu’à Paris, il rencontre Maurice Ravel et Alfred Cortot, entre autres personnalités musicales, avant d’en revenir à l’étude du folklore musical de son pays, notamment celui des Tatras, qui lui inspire un ballet, Harnasie, en 1935. Il meurt à Lausanne en 1937.

Toujours à l’Opéra Bastille, l'exposition Beau comme moi invitera le public, du 16 juin au 10 juillet, à découvrir les sources, le contexte et les éléments limitrophes de cet opéra de Szymanowski.

A noter enfin qu’une conférence autour de Szymanowski avec la participation des musicologues Didier van Moere et Malgorzata Janicka-Slysz aura lieu au Studio Bastille le 22 juin à 18h (entrée libre).

Le site officiel de l’Opéra de Paris