Nous publions une tribune de Yves Riesel relative à la Loi Internet et Création, dont la discussion au Parlement commence ce jour.

La Loi Internet et Création, qui vient au Parlement dans les prochains jours, possède cette vertu majeure, tout simple, d’offrir une juste protection aux métiers de la musique enregistrée, littéralement massacrés depuis cinq ans par des pratiques illégales et irrespectueuses, tandis qu’ils se réformaient pour faire face à la rupture technologique majeure d’Internet et à la révolution des usages. L’objet de cette Loi est de préserver ce qui reste encore à sauver d’un ensemble de métiers, musicaux, œuvrant comme d’autres dans le domaine de la culture ; et de donner à ces métiers un répit pour se reconstruire, en éloignant les profiteurs et leurs complices et en favorisant les services légaux émergents.

La musique enregistrée est vieille de plus d’un siècle. Elle a été animée par un ensemble de professionnels extraordinairement différents, qui n’ont pas manqué au fil des années de se remettre en cause et d’inventer au public de nouvelles joies. L’innovation ne leur fait pas peur, que Diable ! - c’est leur métier. La création, le risque, la folie est au coeur de même de leur vie, parfois même…

Et comment penser qu’ils ne comprennent rien à Internet alors qu’ils ont au contraire, incontestablement, toujours, su anticiper les goûts et les couleurs du public, ce qui est leur fonction même ?

Depuis plus d’un siècle, les professionnels de la musique enregistrée ont permis à des centaines de milliers d’artistes, de se révéler au mieux devant des micros, de poursuivre et amplifier une carrière de scène - enfin, de vivre par la grâce d’une gestion professionnelle et respectueuse à long terme des droits de propriété intellectuelle.

Si vous pensez que Hélène Grimaud, Georges Brassens, Ravi Shankar, les Clash, Vincent Delerm, Yves Jamait, Woodie Guthrie ou même le dernier élu de la Star Ac’ ne relèvent pas, tous, peu ou prou, et selon les goûts de chacun, du domaine du culturel - alors que Le Clezio, Platon, les recettes de Ginette Mathiot ou celles de Jacques Attali, les polars de Stieg Larsson en relèveraient - alors oui, nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde.

Mais si vous considérez que les métiers de la musique enregistrée, de la standardiste au PDG, du compositeur à la vedette, du preneur de son au graphiste ; ces métiers qui ont perdu 55% de leur chiffre d’affaire en cinq ans, et mis des milliers de personnes au chômage en France; si vous pensez que ces métiers ont le droit de vivre, alors considérez que la loi Création et Internet va enfin leur porter secours.

Ces métiers n’ont jusqu’alors pas souvent pleuré au guichet des subventions. Ils vivaient, heureux de leur indépendance, sans trop de régulation publique, et par la grâce de péréquations internes pas si idiotes : les tubes payaient pour les nouveaux talents, Clayderman pour Schönberg. Les majors menaient leur politique - les indépendants la leur, et ils se battaient tous, et les uns contre les autres au besoin, pour la place dans les rayons des disquaires ou dans les lucarnes, ou sur les ondes.

Voilà une industrie culturelle qui se débrouillait à peu près toute seule, et qui n’en demande toujours pas tellement plus si, du moins, on la protège du vol de ses actifs.

Au contraire, la paupérisation que veulent organiser les partisans de la liberté du laisser-faire, c’est la prime à la médiocrité. Ou la relégation dans l’assistanat. Les supporters de la licence globale, une vieille lune aujourd’hui heureusement un peu oubliée, renverraient les plus fragiles de nos confrères dans une sorte de collectivisme musical où à coup sûr leur part de revenus serait injustement calculée au point de les rendre tributaires d’un système d’aides et de « machins » bureaucratiques. Un monde qu’on appelle libre, dans lequel il faudrait compter sur Coca et sur la pub pour faire vivre la mémoire de Philippe Hersant.

La double peine : pillage et incapacité à créer, elle est pour nous, professionnels de la musique enregistrée - pas pour les adeptes du peer to peer auxquels ont enverrait des lettres recommandées en cas d’infraction. Elle est pour nous, auteurs, interprètes, compositeurs, distributeurs. Et producteurs ! J’insiste bien : producteurs ! Producteurs majors, ou producteurs indépendants, peu importe.

Nous n’avons pas moins droit au respect de notre travail et de nos droits que les éditeurs de livres ou de logiciels. Notre public n’a pas moins droit d’écouter les musiques de son choix, que les amateurs de littérature de lire ce qu’ils veulent. Cette liberté de l’utilisateur repose aussi sur la liberté des créateurs et des producteurs de présenter leurs œuvres comme ils le jugent bon, et de passer un pacte d’usage consenti avec l’utilisateur, dans le respect de chacun et qui bien sûr peut prendre des aspects très divers : c’est notre métier de les inventer. Là se trouve le point d’équilibre juste, que nous cherchons depuis plus d’un siècle, et que nous continuerons à chercher. Toujours, dans la liberté.

Yves Riesel

est le directeur du site Qobuz.com, fondateur de la maison de disques Abeille Musique et vice-Président du S.N.E.P