Une partition ardue que La Mer de Claude de France... Au milieu des années 1950, une version accomplit cette quadrature du cercle - si rarement fermé - que de réunir à peu près tous les paramètres interprétatifs de l'œuvre : Eduard van Beinum y dirige l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam...

De l’aube à midi sur la mer, Jeux de vagues, Dialogue du vent et de la mer … la seule lecture des intitulés des parties du tryptique par lequel Claude Debussy poursuivit sa rénovation de l’écriture orchestrale annonce la couleur : l’auditeur se trouve devant un sommet de poésie et de raffinement sonore. Toute la difficulté dans l’interprétation de La Mer de Debussy réside en réalité en deux choses (plus que pour les Images pour orchestre ou Nocturnes) : la nécessité absolue de trouver à la fois le juste équilibre des timbres et la souplesse rythmique. Il eut une version autrefois qui réussit à merveille cette quadrature du cercle, celle d’Eduard van Beinum à la tête du Concertgbouw Orchestra pour le label néerlandais Philips. Ce chef néerlandais, né en 1901 et décédé il y a tout juste cinquante ans, adorait la musique française (Lire notre hommage), et notamment celle de Claude Debussy, qu’il jouait très régulièrement dès le début de sa carrière. Andante avait par exemple publié une version débordante d’enthousiasme, un live de 1941, à l’énergie contagieuse. Voici sa version officielle chez Philips de mai 1957, et l’auteur de ces lignes a eu le privilège d’entendre dans les archives de la Radio finlandaise une interprétation étonnante, rapide et très violente (étonnant de la part d’un chef apparemment si élégant et retenu.. !) donnée en juin 1956 à Helsinki. La version studio, bénéficiant d’une prise de son Philips hallucinante de naturel, offre la quintessence de l’art de Beinum. Tout d’abord, elle se caractérise par une maîtrise absolument hors pair de l’architecture. Nulle part ailleurs qu’ici selon nous La Mer ne prend autant cette dimension d’une « symphonie » déguisée, qui serait bien davantage l’aboutissement chez le compositeur d’un désir absolu de perfection formelle plutôt que d’une volonté de renouveau de la matière orchestrale, qui fut pour schématiser (un brin !) l’objet des Nocturnes et sera encore celui des Images pour orchestre. Autre miracle de l’interprétation d’Eduard van Beinum, sa transparence et la clarté absolue du tissu orchestral. Le début du premier mouvement demeure à cet égard étonnant, et ouvre, avec un raffinement dans l’agencement des couches sonores qui tient du sublime, la porte d’un univers en construction, poétique tout d’abord, puis simplement musical. Si La Mer révolutionna le XXe siècle, Beinum l’expose d’une suprême manière, en recourant à une analyse presque uniquement intellectuelle, anti-hédoniste, de la partition, telle qu’il le ferait pour une symphonie de Haydn. Il procède dans ce répertoire à mille lieux des envolées lyriques d’un Munch ou d’un Martinon, et plus encore de l’épure pointilliste d’un Abbado à Lucerne, et dans son geste d’interprète tout aussi différemment : souvenons de Karajan qui tenta toujours de retrouver dans cette musique l’esprit de Monteux…

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