J’avais toujours rêvé d’écrire une nouvelle qui raconterait la mort d’un artiste écrasé par sa bibliothèque, écrasé par son savoir en quelque sorte, jusqu’au jour où j’ai découvert avec stupeur que je n’aurais rien inventé, car c’est justement ce qui est arrivé au compositeur Charles-Valentin Alkan. Né en 1813 à Paris, alors capitale du piano et des arts, Alkan est un enfant prodige, un pianiste virtuose qui, à 17 ans, peut rivaliser avec Liszt ou Thalberg. Comme ces deux derniers, il est compositeur et, à l’instar de Chopin, écrira uniquement pour son instrument. Si le piano est pour ce dernier le vecteur de son expression intime, il sera pour Alkan un chant illimité d’expériences sonores. Pour lui le piano peut tout, dépasse tout au point de lui confier une Symphonie entière. L’homme était étrange et sa misanthropie bien connue en a fait une sorte d’archétype du musicien romantique maudit. Admiré de Chopin, il était un des rares émules de Liszt et le Tout-Paris venait l’écouter. Sa musique, d’une grande originalité, voire excentrique, est très éprouvante pour les pianistes qui doivent être des sportifs de haut-niveau pour surmonter son obsédante virtuosité. Le jeu en vaut-il la chandelle ? C’est précisément la question que se posent de nombreux interprètes avant que de travailler durement la musique du compositeur romantique français. C’est probablement aussi la raison de sa rareté au disque comme au concert. Saluons le pianiste Laurent Martin qui s’investit depuis tant d’années pour la cause d’Alkan en disque comme au concert. Il sera particulièrement sur la brèche en cette année du bicentenaire. Alkan laisse un catalogue d’où émergent quelques chefs-d’œuvre comme sa Grande Sonate (Les 4 Ages de l’homme), ses Préludes et ses Etudes, en particulier ses Etudes dans les tons mineurs, une somme pianistique tout à fait nouvelle pour l’époque. Il laisse aussi de la musique de chambre (Sonate pour violoncelle et piano, Trio avec piano), des Concertos de chambre et de nombreuses pièces pas encore enregistrées.

En mourant brutalement, chez-lui, d’une crise cardiaque le 30 janvier 1963, Francis Poulenc a créé la stupeur auprès de ses nombreux amis et auprès d’un public qui aimait sa musique. Derrière sa proverbiale jovialité, Poulenc cachait de douloureuses questions existentielles qu’il exorcisait à travers sa musique, depuis Les Litanies à la Vierge Noire de 1936, en passant par la Messe en sol a capella, l’admirable Stabat Mater, le Gloria et son magistral opéra Dialogues des Carmélites. Bienheureux Poulenc qui a évité le triste purgatoire promis à bien des artistes au lendemain de leur mort. Très joué, très enregistré il fait partie des musiciens qui nous sont familiers grâce à une musique qui a su allier le classicisme à une certaine modernité de son temps. Si la Sonate pour flûte et piano est vite devenue indispensable aux flûtistes, si le corpus de ses mélodies est bien connu, si le Concerto pour orgue, le Concert Champêtre pour clavecin, le Concerto pour 2 pianos en ré mineur , l’opéra comique Les Mamelles de Tirésias et le monologue de La Voix humaine sont au répertoire, certains chefs-d’œuvre restent sur le carreau comme l’admirable ballet Les Animaux modèles qui est une de ses meilleures partitions, sans parler de cette autre merveille que sont Les Biches. Mais l’année Poulenc commence plutôt très bien avec la parution du magnifique album du L'Edition du Cinquantenaire, proposé par EMI. Rien de nouveau dans cette intégrale, mais une somme d'enregistrements incontournables représentant 24 heures de musique. De quoi devenir des vrais poulenquiens...

Francis Poulenc et Benjamin Britten s’appréciaient beaucoup et étaient très amis. Ils avaient tout deux un grand sens de l’humour et partagaient un amour commun pour la poésie. Le grand compositeur anglais aurait eu 100 ans cette année. Lui non plus n’a jamais connu de purgatoire et est même un des compositeurs les plus enregistrés. Musicien multiple, pianiste de talent, excellent chef-d’orchestre, Benjamin Britten laisse un grand nombre de disques pour DECCA qui représentent un témoignage et une somme indispensables, qu’il s’agisse de ses propres œuvres comme de celles d’autres compositeurs, Mozart, Schubert ou Schumann. Pour accompagner vos premiers pas, commencez par une œuvre de jeunesse, sa Simple Symphony, puis la sublime Sérénade pour ténor, cor et cordes, écrite pour Peter Pears, le compagnon de toute sa vie ou le très beau Concerto pour violon. Autre œuvre capitale Les Illuminations sur des poèmes d’Arthur Rimbaud (« Allez-y, mettez-moi une note ! » avait dit Britten en montrant sa partition à Poulenc). Les Variations et fugue sur un thème de Purcell (The Young Person's Guide to the Orchestra) à vocation pédagogique sont devenus son œuvre d’orchestre la plus célèbre. Britten a su très habilement renouveler l’écriture de l’opéra et laisse de nombreux chefs-d’œuvre dont Peter Grimes, Le Tour d’écrou (The Turn of the Screw) ou Billy Budd où se retrouvent son thème favori de l’enfance bafouée. Pacifiste convaincu, il a dénoncé la guerre dans son admirable War Requiem, véritable profession de foi en l’homme.

2013 sera aussi l’occasion de fêter les 100 ans de Maurice Ohana, un compositeur qui puise la source de son art dans la tradition espagnole et dans celle de l’Afrique du Nord où il était né. Sa musique est celle d’un homme indépendant, inféodé à aucun autre système que l’écoute de lui-même et de ses propres inspirations. Il en résulte une musique foisonnante, d’une grande originalité qui emploie tous les moyens inventés après la guerre comme l’électroacoustique ou les tiers de ton qui lui permettent de recréer une Antiquité de rêve.

Comme Francis Poulenc, Paul Hindemith est mort en 1963. Un anniversaire qui nous incitera peut-être à réévaluer une œuvre largement inconnue en France. Sa musique, motorique (un peu comme celle d’Albert Roussel), est influencée par notre monde mécanisé. Elle se voulait dépourvue d’expression et de sentimentalité, ce qui n’a pas empêché Hindemith de mettre en musique des vers splendides de Rilke ou de Morgenstern. Hindemith, comme un Fernand Léger en peinture, exprime la modernité d’un monde mécanisé et quelque peu déshumanisé.