En direct de Berlin le mercredi 18 juin : une première partie très originale avec Charles Ives et le vieux, vieux Richard Strauss métamorphosé après la Deuxième guerre, suivie d'un gros bonbon classique que Simon Rattle et Daniel Barenboim ont maintes fois donné ensemble, le Premier concerto de Brahms

Dernier concert retransmis en direct de Berlin pour cette saison 2013-2014 ! On aura donc droit à deux raretés. Depuis qu'existe la Salle de concerts numérique, c'est en effet la première fois que le Philharmonique de Berlin donne The Unanswered Question de Charles Ives - il est vrai que ce compositeur est assez négligé par l'Orchestre - et, plus étonnant, les Métamorphoses pour 23 instruments à cordes de Richard Strauss. Strauss dont les chefs préfèrent naturellement se "remplir les bras" avec Zarathoustra, Don Quichotte ou la Symphonie domestique...

Singulier chef-d'œuvre que The Unanswered Question de Charles Ives, écrit en 1908, révisé une vingtaine d'années plus tard - Ives était un grand remanie-tout -, et seulement créé en 1946. Le compositeur a lui-même écrit un petit programme à sa pièce, dont on rappellera qu'elle est conçue en trois couches superposées. D'un côté, les cordes égrènent, hiératiques et immuables dans le tempo, des accords parfaits enchaînés avec lenteur et froideur. Sept fois, la trompette solo "pose la question", une courte phrase de quelques notes, obstinément répétée au même tempo et dans la même dynamique. Six fois, un quatuor de flûtes (ou, au choix des interprètes, deux flûtes, un hautbois et une clarinette) "répond", mais une réponse cacophonique, toujours plus rapide et agressive ; la sixième réponse, la plus longe, semble sériseuement s'énerver puisque les flûtes reprennent, en le moquant et le détournant, le thème de la question qui finit en eau de boudin fortissimo et irrationnel. La dernière réponse, courte et insolente, ne laisse pas même le temps à la question d'être entièrement posée... le dernier solo de trompette reste donc sans réponse. Selon Ives, les cordes représentaient "le silence des druides, qui ne savent, ne voient et n'entendent rien". La trompette pose "l'éternelle question de l'Existence", tandis que les réponses sont fournies par un quatuor de blablateurs "bagarreurs qui finissent par se rendre compte de la futilité de la chose, se moquent de la question et finissent par disparaître", laissant la question sans réponse. Un véritable chef-d'œuvre, puissamment moderne, à la fois tonal et atonal, avec des rythmes libres qu'aurait adoré Messiaen... à ne pas manquer.

Les Métamorphoses, Etude pour 23 cordes solo de Strauss sont l'un de ses ultimes ouvrages, et sans aucun doute l'un des plus intrigants. Ecrite en 1944-45, l'ample pièce tisse un extraordinaire méandre de contrepoint autour d'un thème dont on finit par comprendre qu'il évoque la marche funèbre de l' Eroica de Beethoven. Selon Strauss, la référence Beethovenienne n'aurait pas été délibérée, hormis à la tout fin lorsqu'il cite verbatim quelques mesures de l'Eroica, et encore, à la basse seulement. C'est là l'œuvre la plus sombre de Strauss, la plus dépouillée en termes orchestraux - 23 cordes solo - et pourtant la plus complexe en termes d'écriture. Un superbe écrin pour les somptueux instrumentistes du Philharmonique de Berlin.

Pour finir le concert, Simon Rattle a invité Daniel Barenboim à le rejoindre dans le Premier concerto de Brahms, qu'ils ont maintes fois donné ensemble, pas nécessairement à Berlin toutefois. Un beau concert de clôture de saison digitale... On se retrouve le 30 août à 19h avec l'ouverture de la saison 2014-2015 : Rachmaninov et Stravinsky.

La saison complète 2014-2015 du Philharmonique de Berlin, sujette à d'éventuelles petites modifications dont nous vous tiendrons informés au jour le jour

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