Ah ça non, personne n'ira vous affirmer que Karl Amadeus Hartmann est un Joyeux Turluron : la moitié de sa vie passée à faire silence, l'autre à s'occuper de la musique des autres...

Parmi la petite poignée d'œuvres que nous a léguées Karl Amadeus Hartmann (1905 - 1963), on compte un Miserae, une Première symphonie "Essai de Requiem", une Symphonie tragique et une Symphonie plaintive toutes deux recyclées dans sa Troisième symphonie, un Concerto funèbre pour violon et orchestre qui est sans doute son opus le plus joué de nos jours, une Cantate profane ultérieurement renommée Lamento... Pendant toutes les années noires du Nazisme, s'il n'a pas quitté l'Allemagne, il s'est entièrement retiré de la vie musicale - alors qu'il était en pleine possession de ses moyens créatifs, entre 30 et 40 ans - et lorsqu'il revint sur la scène après la Guerre, certes dénazifié d'office puisqu'anti-fasciste déclaré dès le début, il orienta sa carrière vers l'administration de la vie musicale allemande, la réhabilitation des compositeurs contemporains rejetés par les Nazis, et la promotion de la jeune relève : Henze, Nono, Dallapiccola, Orff, Xenakis, Messiaen, Berio, Zimmermann et même Boulez qui lui doivent tous leur remarquable parcours en Allemagne. Henze achèvera d'ailleurs bon nombre de partitions laissées inachevées à la mort de Hartmann.

Pendant ce temps, bien sûr, Hartmann ne disposa de guère le temps à consacrer à la composition et lorsqu'il s'éteignit en décembre 1963 à l'âge de 58 ans, il n'avait achevé que ses huit symphonies - pour beaucoup réécrites d'après des matériaux anciens -, un seul opéra (Simplicius Simplicissimus), une petite poignée d'œuvres de chambre, le concerto pour violon cité plus haut, et une demi-douzaine d'ouvrages vocaux dont la présente Scène chantée sur un texte de Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, encore un grand moment de noirceur et de tragédie... C'est là l'ultime chef-d'œuvre de Hartmann qui, semble-t-il, ne l'acheva pas entièrement. Cela dit, les commentateurs se contredisent légèrement : dans une même phrase, il est indiqué que le dernier fragment de texte n'a pas été mis en musique car Hartmann serait mort avant de l'avoir terminé, puis on nous précise que c'était son intention de laisser les dernières phrases sans musique ! Quid ? Mystère...

Destruction de Sodome et Gomorrhe, Pieter Schoubroeck vers 1600, avec une idée très fantaisiste de l'architecture palestinienne...

En tous les cas, ce 28 mai 2011, le Philharmonique de Berlin et le chef polonais Stanisław Skrowaczewski avaient inscrit au programme la Scène chantée ("Gesangsszene") de Hartmann, et nous vous suggérons de la découvrir dans les Archives de la Salle de concerts numérique. Le baryton Matthias Goerne, grand champion de Hartmann en général et de Sodome et Gomorrhe en particulier, chante et récite avec ardeur ce texte sombre dont les derniers mots clament tristement : "Et le soleil est chaud, mais de ma main j'ai sondé sa chaleur, c'est de la poix. Et par le gosier de l'alouette, c'est le tonnerre de l'implacable qui se déchaîne. Et par l'entaille du pin résinier s'écoulent les pleurs de la fin du monde. C'est une des fins du monde ! La plus déplorable !" La partition qui précède ces déclarations sans merci est elle-même des plus implacables, des plus sauvages, un véritable grand chef-d'œuvre de la littérature d'après-Guerre qu'il est grand temps de redécouvrir - ainsi sans doute que les symphonies de Hartmann qui n'apparaissent guère aux répertoires des orchestres mondiaux, hélas.

La saison complète 2014-2015 du Philharmonique de Berlin, sujette à d'éventuelles petites modifications dont nous vous tiendrons informés au jour le jour

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