Difficile de trouver le juste ton pour ce chant d'après l'Annonciation. Au final, beaucoup d'appelés, peu d'élus !

{Pour cette nouvelle édition, découvrez huit interprétations du {Magnificat de Bach, commentées par Bertrand Dermoncourt, Eric Taver et Anne-Sophie Jacouty.

Durée : 180 min}}

Enregistré pour la première fois en 1946, et comptant depuis une bonne soixantaine de versions, le Magnificat s'avère incontestablement être l'une des oeuvres sacrées de Bach les plus régulièrement gravées, et ce dès l'époque du 78 tours... On trouvera ici de grands noms de la direction, la plupart des chefs du mouvement « baroque » ainsi que des choeurs plus ou moins célèbres. Comme pour tous les « tubes » du répertoire, l'interprétation du Magnificat a subi différentes modes et connu de nombreux avatars, plus ou moins réussis : pour y voir plus clair, un tour d'horizon discographique s'imposait.

Nous ne mentionnerons ici que les versions publiées en CD. Par ailleurs, nous avons choisi de retenir pour cette confrontation les enregistrements de la seconde mouture du Magnificat - BVW 233 en majeur - qui s'est imposée au disque comme au concert (voir l'encadré ci-contre).

PIONNIERS

Deux disques nous ramènent aux années 1940. Robert Shaw dirigeait une première version américaine du Magnificat pour RCA (rééditée par Pearl), tandis qu'en Allemagne Ferdinand Leitner le gravait pour Deutsche Grammophon. Logiquement, cet enregistrement s'est, un temps, imposé comme référence. Il a depuis été régulièrement réédité en CD, mais il n'aurait pas été illégitime de l'oublier, à l'instar de celui de Geraint Jones pour EMI : ce sont deux témoignages d'une époque bien lointaine, où l'on dirigeait Bach comme Elgar ou Bruckner. Plus intéressant, le disque viennois de Felix Prohaska (Vanguard, « The Bach Guild », 1957) fait entendre de grandes voix, comme Hilde Rössel-Majdan et Anton Dermota dans l'« Et misericordia eius ». Ceux qui aiment les Cantates par Scherchen y trouveront leur compte - les autres moins. Toujours à Vienne, et six ans plus tard, Jean-Marie Auberson gravera pour La Guilde du disque (réédition Fnac Music) une nouvelle version avec les musiciens de l'Opéra, plus dispensable.

GRANDS CHEFS

En janvier 1950, Otto Klemperer donnait l'oeuvre en concert à Budapest, avec un choeur très fourni, un orchestre symphonique et un continuo... au piano. Version, on s'en doute, très opératique et hiératique. Elle est furtivement apparue en CD sous étiquettes Hungaroton et Urania et n'intéressera que les collectionneurs. Les enregistrements de Bernstein et Mister K. n'ont guère été diffusés eux non plus. En 1959 à New York, Lenny disposait d'un cast éclectique (où l'habituelle Jennie Tournel côtoyait étrangement le contre-ténor Russell Oberlin), tout comme Karajan en 1977 à Berlin (Schreier, Baltsa ou Tomowa-Sintow, comme pour un Requiem allemand !). Stylistiquement contestables, ces versions caricaturent les défauts de ces grands musiciens dans le répertoire baroque : Bernstein démonstratif à outrance, Karajan superficiellement hédoniste. On écoute, puis on oublie.

TRADITION GERMANIQUE

Kurt Redel, qui grava la première version Erato du Magnificat en 1958, récidiva en 1964 pour Philips (avec Sena Jurinac, tout de même...), sans marquer la discographie. Cette même année, ce fut au tour de Karl Ristenpart d'enregistrer l'oeuvre pour Erato, avec l'Orchestre de chambre de la Sarre et, comme chez Redel, la Chorale Philippe Caillard. C'était, paraît-il, un must, mais on est aujourd'hui en droit d'en douter. Tout cela nous semble désormais bien appliqué.

La preuve ? Kurt Thomas, qui venait de succéder à Günther Ramin à la tête de l'église de Bach à Leipzig, avait enregistré en 1959, avec son Choeur de Saint-Thomas et l'Orchestre du Gewandhaus, une version bien plus solide que celles de Redel, et en même temps moins lourde que celle de Leitner. Ce classique de la discographie, régulièrement réédité par Berlin Classics reste cependant peu marqué par la fantaisie ou l'invention. Citons également, chez le même éditeur, le disque leipzigeois de Hans-Joachim Rotzsch (1978), qui, avec une nouvelle génération de chanteurs, poursuivait la tradition de Kurt Thomas sans vraiment l'enrichir. On préférera la version de Karl Richter (Archiv, 1961) à Munich. Cette extraordinaire machine à jouer Bach, bénéficiant d'une équipe de solistes hors pair (Stader, Töpper, Haefliger et Fischer-Dieskau) porte-elle encore aujourd'hui, comme elle le faisait hier, le message du Cantor ? En 1961, Richter était-il aussi au point que lorsqu'il enregistra ses célèbres 75 Cantates pour Archiv quinze ans plus tard ? L'écoute en aveugle nous le dira. On est également tenté de sélectionner pour l'épreuve finale l'autre version de référence des années 1960, concurrente de celle de Richter, due à Karl Münchinger. On est ici dans un autre univers. Caractérisée par sa simplicité et son intimité chaleureuse, cette version a-t-elle résisté à l'usure du temps ? Elle n'avait pas été sélectionnée dans la précédente écoute comparée du magazine Répertoire (n° 42, en décembre 1991), au profit de versions plus récentes, mais nous faisons le pari de la retenir.

Parmi ces interprétations « de tradition », on ne peut ignorer non plus celles de Helmuth Rilling, instigateur, rappelons-le, d'un enregistrement intégral de l'oeuvre de Bach chez Hänssler, paru en 2000. Sa première version du Magnificat a été enregistrée pour CBS/Sony en 1979 avec, déjà, le Bach-Collegium Stuttgart et une pléiade de chanteurs (Augér, Murray, Watt, Huttenlocher...). La seconde, avec notamment Schäfer et Quasthoff en solistes (Hänssler, 1995, dans le cadre, justement, de l'intégrale Bach) est à la fois plus équilibrée et plus incisive. L'écoute nous dira s'il est temps de réhabiliter le très (trop) peu estimé Rilling.

TENTATIVES BAROQUES

Gerhard Schmidt-Gaden (DHM, 1972) a été le premier interprète à enregistrer le BVW 233 en ré majeur selon les principes de l'interprétation historique sur instruments anciens, bénéficiant du travail musicologique. Un travail louable mais bien trop perfectible pour convaincre aujourd'hui. À oublier. Il faudra attendre 1983 et John Eliot Gardiner (chez Philips) pour profiter d'une version « baroque » satisfaisante. Celle-ci bénéficie de l'apport d'un choeur d'une exceptionnelle qualité, d'un orchestre virtuose et d'un enthousiasme communicatif. Jusqu'à la superficialité ? L'année suivante, Nikolaus

Harnoncourt répliquait pour Teldec, avec le Concentus Musicus Wien, un choeur d'adultes, des enfants et ses solistes de l'époque (Esswood, Equiluz, Holl...). Les options très personnelles du chef autrichien seront-elle du goût de tout le monde lors de notre écoute ? On retient également pour le round final un autre grand nom du mouvement baroque : Philippe Herreweghe et son Collegium Vocale de Gand, d'une rare souplesse, dans ce qui est considéré depuis sa parution en 1990 chez Harmonia Mundi comme l'un de leurs plus beaux disques Bach. Rappelons qu'il avait remporté l'écoute en aveugle de Répertoire. Sigiswald Kuijken et sa Petite Bande peuvent leur être comparés (Téléchargez l'album). Classiques jusqu'à l'austérité mais d'une grande cohérence stylistique (Virgin, 1988), ils pâtissent d'un choeur... pâteux. Un cran en dessous, Diego Fasolis n'est pas parvenu ici à renouveler le miracle de son Dixit Dominus de Haendel (Arts, 1994) qui avait remporté notre écoute comparée (cf. Classica-Répertoire n° 72).

Joshua Rifkin a ses partisans. Thuriféraire d'une approche « minimaliste » (un chanteur par partie) de Bach, il se montre, une nouvelle fois, plus militant que vraiment musicien (Pro Arte, 1984), à l'instar d'Andrew Parrott (Virgin, 1989), étriqué. C'est finalement Paul McCreesh et son Gabrieli Consort (DG, 2000) qui, dans le genre, s'imposent par leur science des contrastes et leur volonté, louable, de secouer les habitudes (et l'auditeur !) en adoptant des tempos ultra vifs. Une version véhémente, à part, sans doute à connaître, mais qui n'aurait pas sa chance en écoute fractionnée. Quant à Ton Koopman, si inégal dans ses enregistrements de Bach, il était d'humeur bien superficielle lorsqu'il s'est attaqué au Magnificat. En outre, il était entouré de solistes (Mertens nonobstant) vraiment trop faibles (Erato, 1998). Son élève Masaaki Suzuki semble finalement plus apte, désormais, à réaliser les idées du maître. Sa version aérienne avait obtenu un « 10 de Répertoire » lors de sa parution en 1999 chez Bis dans un beau programme de musiques mariales de Zelenka et Kuhnau. On peut y apprécier des équilibres souverains, une grande clarté rhétorique, et un mélange unique d'humanité et de spiritualité. Une référence, à confronter à d'autres versions peut-être plus typées.

Peu de nouvelles versions sont parues ces dernières années. On oubliera facilement Martin Pearlmanet son Boston Baroque (Telarc, 2005), pour retenir la vision énergique, opératique et dramatique d'Emmanuelle Haïm (Virgin, 2007; téléchargez l'album), dirigeant un plateau de stars de l'opéra (Dessay, Jaroussky...). Ce disque avait séduit mais quelque peu dérouté Xavier de Gaulle lors de sa sortie l'an passé. Tiendra-t-il son rang d'outsider face à la concurrence plus ancienne ?

MODE ANGLAISE

Pour EMI, Daniel Barenboim livrait en 1968 une version oubliée mais très « pro », ouvertement symphonique, du Magnificat, avec le New Philharmonia, Popp, Baker et Tear. À cette époque, le chef et pianiste dirigeait Mozart avec plus de ferveur et, sans nul doute, d'à-propos. La tradition chorale anglaise a donné naissance à de nombreux autres enregistrements, dignes et probes mais généralement sans fougue ni caractère. C'est notamment le cas de Ledger et du choeur de Cambridge (Decca, 1976, avec le BWV 243a), des mêmes avec Cleobury en 2000 (EMI, avec Gritton, Bostridge et Chance) ; de Christopher et des Sixteen (Brilliant, 1991), de Ward et la Schola Cantorum d'Oxford (Naxos, 1994), de Marriner et de son Academy (EMI, 1990, avec... Barbara Hendricks et Ann Murray) ou encore, sur instruments anciens, de Hickox et du Collegium Musicum 90 (Chandos, 1990. Téléchargez l'album).

INCLASSABLES

Michel Corboz nous laisse deux enregistrements de l'oeuvre pour Erato, en 1972 puis 1979. Seule cette dernière version a été rééditée en CD. Malgré de grands solistes (Yakar, Smith, Rolfe Johnson, Van Dam), il ne renouvelle pas ici la réussite de ses Passions et semble confondre ferveur et emphase. On ne s'attardera pas sur les versions de Paul Kuentz (Vérany, 1994), de Gielen (Intercord, 1991, malheureusement très peu diffusé) ou de Shaw (Telarc, 1988, plus de cinquante ans après sa première gravure !) pour évoquer le « cas » Peter Schreier. Souvent cité en référence dans les Passions, voir dans la Messe en si, le chef a tenté, et réussi, une synthèse sur instruments « modernes » des différentes approches stylistiques de notre temps (Philips, 1993). Malheureusement, dans son disque du Magnificat, la sauce ne prend pas. Les amateurs de Barbara Bonney en seront donc pour leurs frais.

Notons enfin, pour être complet, les secondes versions Karajan (Sony, 1984) et Harnoncourt (TDK, 1990) en DVD... ainsi que, parmi les gravures du BWV 243a, celles de Preston (Decca, 1978), Max (EMI, 1992), Hendelbrock (DHM, 2000). Rilling (Hänssler, 2000) et Herreweghe (HM, 2002) sont les deux seuls interprètes à avoir enregistré les deux versions du Magnificat.

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