A l’occasion de la sortie de leur album 100 % acoustique “This Machine Still Kills Fascists”, dédié à et inspiré par Woody Guthrie, le chanteur des Dropkick Murphys, Ken Casey, revient sur son lien avec le pionnier du folk et l’importance qu’il a eue dans son parcours de musicien engagé.

Pour enregistrer This Machine Still Kill Fascists, vous êtes partis à Tulsa. C’était pour vous rapprocher des terres d’origine de Woody Guthrie ?

Exactement. Tulsa est l'endroit où se trouvent le musée de Woody et les archives de son catalogue. Nous sommes aussi allés à Okemah dans l’Oklahoma, à une heure de Tulsa, la ville natale de Woody. C'était très inspirant de baigner dans cette ambiance très différente de Boston. Je pense que ça nous a aidés à nous mettre dans l'esprit du projet.

En 2005, votre titre I’m Shipping Up to Boston prenait déjà pour base un texte de Guthrie.

Oui, et Gonna Be a Blackout Tonight aussi ! Cette fois, nous avons pu chercher dans des archives contenant des centaines de pages de paroles jamais enregistrées par Woody Guthrie. C’était comme se lancer dans un projet historique – et pas seulement un album ! Aux Etats-Unis, c’est un monument. Je dis toujours que sa chanson This Land Is Your Land est le vrai hymne national. Celui du peuple !

Dropkick Murphys © Emanuela Giurano

Malgré leur grand âge, beaucoup de sujets abordés dans les chansons de Guthrie sont très actuels.

C’était notre principal critère de sélection. Parfois, c'était presque étrange de constater la pertinence politique très actuelle de certains textes qui avaient plus de 80 ans. A la minute où je les regardais, la mélodie me venait à l'esprit. Après, toutes les chansons ne semblent pas politiques, mais le sont dans le sous-texte, Guthrie était très fort pour écrire des textes à double sens. Prenez Cadillac, Cadillac par exemple. A l'époque où Woody a écrit la chanson, voir une Cadillac passer, c'était l'essence du rêve américain. D'une certaine manière, ça pourrait être une analyse sur la façon dont le rêve américain vous pousse à vous dépasser socialement, et les dérives qui vont avec.

Vous avez choisi de vous débarrasser de vos guitares électriques pour ce nouvel album, totalement acoustique. C’était pour donner de l’importance aux paroles ?

Absolument. Je crois qu’un riff de gratte sorti d’un ampli réglé sur 11 peut parfois nuancer le message. C'était aussi un défi pour nous de faire un album acoustique et de nous « calmer ». Je suis assez fier du résultat, car même s'il est acoustique, This Machine Still Kill Fascists ne sonne pas comme un album doux et tranquille. Nous avons travaillé avec Ted Hutt, qui a produit nos quatre ou cinq derniers albums et qui est comme un membre du groupe maintenant. Il nous unit vraiment et nous inspire à travailler plus dur, comme si nous ne partagions qu’un seul cerveau. Il nous connaît mieux que nous nous connaissons nous-mêmes. Cet album met véritablement cette idée en valeur.

La musique de Guthrie vous accompagne depuis l’enfance. Quelle importance a-t-il eue sur votre parcours ?

Je disais de This Land Is Your Land tout à l’heure que c’était le vrai hymne du peuple. Guthrie a aidé à bâtir mon système de pensées depuis que je suis enfant et que j’ai appris cette chanson à l’école. N’oublions pas que The Star-Spangled Banner est une chanson écrite par un esclavagiste. Et surtout, c’est l’hymne des politiciens, des puissants. This Land Is Your Land reflète bien plus la réalité et la pensée du peuple, cette base est la mienne depuis des années. Quand je suis devenu adolescent, j'ai réalisé l'influence de Woody Guthrie sur Joe Strummer, Bruce Springsteen et toutes mes idoles musicales, j'ai vraiment compris qu'il était le rebelle musical original. Il avait beaucoup de choses en commun avec les punks avec lesquels j'ai grandi et qui m'ont inspiré musicalement. C’était un mec qui avait compris que tu pouvais composer à la fois des titres sérieux et des chansons plus légères, humoristiques. Il pouvait aussi écrire des textes sur lui, sur sa famille. Woody Guthrie n’avait pas peur d’être un artiste complet.

C’est aussi l’esprit qui a anime Dropkick Murphys.

Si vous n'écrivez que des chansons sérieuses, à un moment donné, votre message se perd, tout devient trop similaire, sans saveur. Dropkick Murphys a toujours su éviter ce piège. Pourquoi nos chansons plus politiques et sérieuses ont-elles plus d'impact ? Parce que nous avons toujours eu ce côté léger et composé des chansons qui ne se prennent pas trop au sérieux. J'ai toujours été attiré par les musiciens qui me montrent toutes leurs facettes, l’unilatéralité a quelque chose de faux à mes yeux.

Dropkick Murphys © Emanuela Giurano

Sur cet album, la chanson All You Fonies est un sympathique clin d’œil au All You Fascists de Woody Guthrie.

Les “fonies” sont des gens “faux”, des “envieux”, des gens qui prétendent faire partie de quelque chose, d’une cause par exemple, mais qui ne font rien pour défendre ce en quoi ils croient. Dans cette chanson, Woody s'en prend à ces gens. Il évoque plus particulièrement la tentative de syndiquer la marine marchande dont il faisait partie. Tout simplement, il s’agit de pointer du doigt certaines personnes pour qui il se battait et à qui il demandait de faire pareil. Il leur demandait de mériter le changement. C’est ce que j'aime chez Woody, il disait souvent que le message est plus important que la musique. Il n’hésitait donc pas à se répéter et à utiliser les mêmes accords pour les mélodies de ses titres, et ça s’entendait. En ça, il faisait du punk avant le punk. C’est pour ça qu’en lisant les paroles, qui faisaient écho à All You Fascists, j’ai décidé de les lier musicalement.

Sur le dernière piste de l’album, Dig a Hole, on entend la voix de Woody Guthrie. Comment avez-vous réagi en entendant le résultat final ? Je m’adresse au fan ultime de Guthrie évidemment…

Ça m'a donné des frissons, c’était incroyable. C'était la façon parfaite de terminer l'album. Le petit-fils de Woody, Cole, a joué de la guitare sur cette chanson et nous a aidés avec les chœurs. Donc, lorsque nous avons terminé la chanson et que nous étions dans la pièce pour enregistrer les chœurs, son petit-fils était juste à ma droite et chantait dans le même micro que moi. Vraiment, c'était presque comme une expérience hors du corps : “Wow, on est en train de traverser les générations de sa famille.” Cela a vraiment complété l'album d'une manière très agréable pour moi, j'avais presque l'impression que le fantôme de Woody était dans la pièce.

Pour être honnête, l’album est trop court.

Alors j’ai une bonne nouvelle, même plusieurs ! Nous avons enregistré dix autres chansons qui vont sortir dans un volume 2. Le second album sera un peu plus chantant, avec un son plus clair, plus joyeux que le premier. Il devrait arriver en mars 2023. Et toute notre tournée américaine de l'automne sera en acoustique. Nous allons interpréter beaucoup de nos anciennes chansons comme Shipping Up to Boston et Rose Tattoo de cette manière, avec des éléments comme un harmonica, et les transformer pour qu'elles soient un peu plus dans le style americana. Peut-être qu'à un moment donné, nous sortirons un album live pour que tout le monde puisse en profiter.