Du 27 mars au 11 avril, le compositeur Pascal Dusapin s’installera à la Cité de la musique pour un alléchant Domaine privé. Demandez le programme !

L’œuvre de Pascal Dusapin est protéiforme. À travers ses « solos » pour orchestre, ses opéras (notamment Passion, le dernier en date, né de son amour pour Monteverdi) et sa musique de chambre, le domaine privé qui se tiendra à Paris à la Cité de la musique du vendredi 27 mars au samedi 11 avril 2009 présentera le portrait d’un des compositeurs français les plus marquant de sa génération.

Le cycle débutera vendredi 27 mars, avec l’intégrale des solos pour orchestre avec la création de Uncut, septième solo pour orchestre, avec l’Orchestre Philharmonique de Liège dirigé par Pascal RophéDusapin aime les titres courts. Quelques syllabes, voire des monosyllabes, comme pour les pièces qui composent son cycle de «solos», commencé avec Go en 1992 (créé par Mstislav Rostropovitch), auquel seront ajoutés successivement Extenso en 1993-1994, Apex en 1995, Clam en 1997-1998, Exeo en 2002, Reverso en 2007 (une commande de Sir Simon Rattle et de l’Orchestre Philharmonique de Berlin) et enfin, aujourd’hui, une création. Un « solo » pour orchestre, cela veut dire pour Pascal Dusapin que la formation symphonique est traitée comme si elle était un unique personnage musical, un soliste : à l’opposé, donc, du concerto pour orchestre, tel que Haydn ou Bartók ont pu l’illustrer.

Son inspiration, Dusapin la puise partout. Notamment dans la photographie, qu’il pratique avec passion : « Quand j’écris pour orchestre, par exemple, je me pose des questions de perspective et de profondeur de champ : où fait-on le point, quels instruments sont nets ou flous ? Ces questions m’obsèdent. La forme de la pièce que j’ai composée pour Simon Rattle et le Philharmonique de Berlin, « Reverso », m’a été suggérée par une photo de Bill Brandt, une paire de jambes qui forment un entrelacs de lignes dont l’une est le “reverso” de l’autre. »

Cette manière d’interroger la musique à partir de formes ou de phénomènes non sonores est peut-être ce qui lie Dusapin à Iannis Xenakis, dont il suivit les séminaires de 1974 à 1978 : « Xenakis était avant tout un créateur. Il avait besoin des mathématiques pour se rassurer ; mais ce qui m’attirait chez lui c’était sa rusticité, son côté éruptif. Même si je me sers toujours d’outils qu’il m’a donnés, comme les calculs de proportions. Avec Xenakis, c’était une formation spirituelle. Je sais que la musique ne vient pas de la musique : il y a pour moi une origine plus profonde, métaphysique… » (Le Figaro, 15 octobre 2007).

Le cinquième solo pour orchestre, Exeo (du latin « je sors de », « je m’extrais de ») est dédié à la mémoire de Iannis Xenakis. La rusticité dont parle Dusapin est obtenue paradoxalement sans percussions, mais avec un orchestre parcouru de chocs violents et de soubresauts. Dans Extenso, en revanche, il s’agit plutôt de donner à entendre comment l’orchestre apprend peu à peu à parler, au cours de la fausse improvisation initiale, avant d’apprendre à chanter.

Ce Domaine privé se poursuivra le lendemain, samedi 28 mars avec un forum. A 15h00 sera projeté Composer, Musique, Paradoxe, Flux, un document sur la leçon inaugurale prononcée par Dusapin au Collège de France le 1er février 2007. A 16h30, une rencontre sera organisée avec le compositeur. A 17h30 enfin, la pianiste Vanessa Wagner jouera Liszt, Schumann et Dusapin.

Rien de tel, pour approcher l’écriture ramifiée ou rhizomatique de Pascal Dusapin, que de se mettre à l’écoute de la série de ses Études. Ces sept pièces (1998-2001) dialoguent avec les œuvres des romantiques qui ont contribué à fixer les lois du genre de l’« étude » : Liszt et Schumann. Mais les miniatures pianistiques de Dusapin portent des sous-titres qui les infléchissent vers la logique du jeu et de la construction ludique, plutôt que de les inscrire dans une simple tradition virtuose. Ce que ces études de la fin du XXe siècle laissent entrevoir, c’est donc aussi l’atelier du compositeur : ce qu’on entend là, c’est la façon dont Pascal Dusapin agence, plie, déplie ou imagine des puzzles…

Mardi 31 mars, ce Domaine privé changera de cap avec une prestation du pianiste Francesco Tristano Schlimé et de son complice mexicain Murcof à l’ordinateur. Né à Luxembourg en 1981, Schlimé est assurément un pianiste atypique dans le monde des virtuoses. En 2006, après avoir enregistré les Variations Goldberg de Bach ou les œuvres complètes de Berio pour le piano, il consacre en 2006 un beau disque au Concerto pour piano en sol de Ravel et au Concerto op. 55 de Prokofiev, sous la direction de Mikhail Pletnev. L’album s’achève avec trois de ses propres improvisations. La même année, Not For Piano témoigne des autres talents du pianiste : ses propres compositions et improvisations côtoient des plages inspirées par Derrick May ou Jeff Mills, ainsi qu’un bel hommage à Pascal Dusapin, intitulé AP. Il est accompagné par le DJ Fernando Corona, alias Murcof, issu du meilleur de la scène électronique mexicaine, où il fut l’un des membres du collectif Nortec (pour Norteño techno).

Le samedi suivant, le 4 avril à 15h, se produiront les Solistes de l’Ensemble intercontemporain avec des œuvre de Wolfgang Rihm, Iannis Xenakis et bien entendu Pascal Duspain. Celui-ci a étudié avec Xenakis, de 1974 à 1978. Saluant la mémoire de son maître, il déclarait dans un entretien accordé au Figaro le 15 octobre 2007 : « Avec Xenakis, c’était une formation spirituelle. Je sais que la musique ne vient pas de la musique : il y a pour moi une origine plus profonde, métaphysique : c’est mon côté allemand. Si je me sens si bien en Allemagne, c’est parce que là-bas on aborde la musique du dedans et non du dehors. »

Entre Xenakis, donc, et l’un des plus prolifiques compositeurs allemands d’aujourd’hui, Wolfgang Rihm, ce concert sera aussi un hommage à une certaine force d’expression que les trois compositeurs partagent. Parlant du titre de son solo pour violoncelle de 1977, Xenakis déclarait : « « Kottos » est l’un des géants aux cent bras que Zeus combattit et vainquit : allusion à la fureur et à la virtuosité nécessaires à l’interprétation de cette pièce. »

Mardi 7 avril, la Cité de la musique offrira au public To Be Sung, l’opéra de Pascal Dusapin, adaptation de l’ouvrage de Gertrude Stein A Lyrical Opera Made by Two, avec l’Ensemble intercontemporain dirigé par Alain Altinoglu avec Anna Stephany, Claire Booth et Claron McFadden. Gertrude Stein a marqué l’histoire de l’avant-garde littéraire et picturale dans les premières décennies du XXe siècle. En tant qu’écrivaine et dramaturge, une part de son œuvre est le reflet de sa relation avec Alice B. Toklas, qui fut sa compagne de 1909 à sa mort, en 1946. C’est notamment le cas de A Lyrical Opera Made By Two. En adaptant cette œuvre de Stein pour un « opéra de chambre » en 43 numéros, Pascal Dusapin n’a toutefois pas cherché la dimension autobiographique du texte. Au contraire, dans l’esprit de Gertrude Stein, il en a respecté, voire amplifié l’abstraction, « évacuant narration et chant pour ne s’attacher qu’à la seule musique, avec pour problématique la réalisation d’un opéra de chambre à écouter tel un quatuor à cordes ». Lors de la création en 1994, la scénographie et les lumières de l’artiste américain James Turrell contribuaient à l’effet de « dé-représentation » et de «déconstruction» du récit que le compositeur dit avoir recherché.

Ce Domaine privé consacré à Pascal Dusapin se refermera samedi 11 avril avec Passion, un opéra interprété par l’Ensemble Modern Frankfurt dirigé par Franck Ollu. Un opéra de Dusapin, c’est un événement. Non seulement parce qu’il est sans doute le compositeur français le plus écouté et le plus attendu de sa génération. Mais aussi parce que chacun de ses opéras diffère du précédent, explore d’autres voies, sans jamais s’installer dans les règles d’un genre. Un genre qui, visiblement, reste pour lui chaque fois à réinventer.

Aujourd’hui, avec Passion (et avec passion), Dusapin relit à sa manière Monteverdi, pour lequel il avoue un « amour immodéré ». Ce nouvel ouvrage lyrique, donné en création mondiale au Festival d’Aix-en-Provence, c’est un peu une « étude » sur les affects, au sens de la rhétorique baroque : le compositeur a annoté, compulsé, compilé les types passionnels des quatre opéras de Monteverdi (L’Orfeo, L’Incoronazione di Poppea, Il Ritorno d’Ulisse in patria, ainsi que le Combattimento di Tancredi e Clorinda), il en a fait un catalogue d’expressions du désir, du ravissement, de la plainte ou de l’effroi… Passion est peut-être tout simplement un Orphée contemporain : un Orphée dont on sonde les mouvements de l’âme, dont on écrit et décrit la physiognomonie. Tout en les reliant, Lui comme Elle, à des capteurs électroniques qui, discrètement, diffusent « l’électricité de leurs passions ». Qu’ils dorment ou qu’ils soient fulminés, quelque chose émane de leur corps - de leur voix, de leur souffle - que la musique capte et nous donne à entendre…

Le site officiel de la Cité de la musique