Nous proposons à nos fidèles berlinomanes de découvrir un [concert d'archives->http://www.digitalconcerthall.com/en/concerts/?a=qobuz&c=true] de 2010, présentant en particulier la rare Quatrième symphonie de Sergueï Taneïev, écrite en 1898. Abonnés, à vos abonnements ! Non-abonnés, [abonnez-vous->http://www.digitalconcerthall.com/tickets/?a=qobuz&c=true] !

Pauvre Taneïev ! S'il n'avait pas été coincé entre son maître Tchaikovski, son disciple Scriabine et son condisciple Rachmaninov, sans doute aurait-il accédé à une bien plus grand gloire posthume que celle qui lui échoit de nos jours, à savoir une gloirette de second ordre. Loin de nous l'idée d'affirmer que Taneïev est LE grand génie négligé de son temps : ce n'est pas le cas, il est honoré à sa juste mesure et il n'a rien d'un impérial génie. Mais s'il ne fallait manger que du caviar et des ortolans sous le torchon, ne boire que du Pétrus 1901, et n'écouter que sept ou huit des compositeurs les plus impériaux du genre humain, on se lasserait assez vite. Et il n'y a aucune raison de reléguer la musique des compositeurs secondaires à des orchestres secondaires ; au contraire ! C'est donc rien moins que le Philharmonique de Berlin, dirigé pour l'occasion par le grand dénicheur de raretés qu'est Neeme Järvi, qui s'attaque à la Quatrième symphonie de Taneïev en ce 18 décembre 2010, et que l'on peut retrouver dans les archives de la Salle de concerts numérique. Certes, le même concert propose également le Premier concerto pour piano de Tchaikovsky : les responsables de l'orchestre craignaient-ils que le public ne boudasse l'événement s'ils ne programmaient pas un grand tube du répertoire ? Bon, toujours est-il que Taneïev il y eut.

Taneïev et Tolstoï jouant aux échecs

Russe certes, aristocrate russe surtout, Taneïev s'éloigna rapidement de la mouvance musicale nationaliste - si tant est qu'il ait jamais été tenté. Ses grandes influences viennent de la sphère germanique, de la sphère germanique contrapuntiste et polyphonique, conservatrice voire réactionnaire. Il apparaît qu'il composait souvent en épuisant d'abord toutes les possibilités contrapuntiques ; lettre du 21 juin 1891 à Tchaikovsky, dans laquelle il parle de sa trilogie dramatique Orestia : "Je passe un temps considérable en travaux préparatoires, et moins de temps sur la composition en elle-même. Les thèmes importants qui se répètent dans l'opéra, je les utilise objectivement, sans référence à une situation particulière, seulement pour en étudier le contrepoint. Peu à peu, dans ce chaos d'idées et d'esquisses, quelque chose d'ordonné et de définitif finit par émerger. Tout ce qui est hors de propos est écarté. Seul reste ce qui est indiscutablement approprié." Avec de tels principes, la spontanéité en prend un sérieux coup d'ans l'aile ! Et c'est là que se situe la limite entre génie et un "bon musicien" : le génie, de ce cahier des charges, saura tirer des larmes d'émotion à l'auditeur (Bach dans L'Art de la fugue !), là où le "bon musicien" suscitera l'intérêt, l'admiration, toutefois il ne remuera jamais aucune tripes. Taneïev est un bon, très bon musicien, mais...

Les mauvaises langues ajouteront "et c'est bien fait pour sa pomme", car en effet, le compositeur était connu pour son franc-parler, et ses positions radicalement inflexibles sur la musique de ses contemporains. Tchaikovsky lui-même craignait ses jugements comme le chat craint la plaque électrique, tandis que Les Cinq étaient jetés aux orties par Taneïev pour leur mauvaise approche (selon lui) de la musique à la russe. N'estimait-il pas que "La tâche de tout compositeur russe est de favoriser la création d'une musique nationale. Il faut appliquer au chant populaire russe les efforts de l'esprit qui ont été appliqués à la mélodie populaire des nations occidentales. Il faut commencer par les formes contrapuntiques élémentaires, passer aux formes plus complexes, élaborer la forme de la fugue russe, et de là il n'y a qu'un pas vers les formes instrumentales complexes". Décidément, ce brave homme voulait tout passer à la moulinette de Palestrina !

Järvi et le Philharmonique de Berlin, Quatrième de Taneïev

Cela dit, il faut quand même écouter cette Quatrlème symphonie, écrite en 1898, surtout dans cette lecture franchement enthousiasmante du Philharmonique de Berlin : chaque détail est offert sur un plateau d'argent, chaque couleur orchestrale (et Taneïev est un excellent orchestrateur) est soulignée avec brillant, chaque thème singularisé dans ses traitements contrapuntiques. Du très beau travail de la part de Järvi et des Berlinois.

Et si vraiment il vous manque le coup de tripes, vous pourrez toujours écouter le Premier concerto de Tchaikovsky, joué par les mêmes avec au piano le moult russe Arcadi Volodos, qui précédait la Symphonie. Et vous délecter aussi la Suite du ballet-opéra Mlada de Rimsky-Korsakov qui ouvrait le concert, une rareté de grande beauté.

Taneïev : Quatrième symphonie

La saison complète 2012-2013 du Philharmonique de Berlin, sujette à d'éventuelles petites modifications dont nous vous tiendrons informés au jour le jour

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